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ébranlement d’équilibre. Un jour est venu où le moindre prétexte a suffi pour donner le signal de l’explosion : les élémens de conflagration existaient et s’accumulaient d’heure en heure, tout se disposait dans une sorte de mystère menaçant pour l’effroyable choc. Les illusions pacifiques n’étaient qu’un leurre de plus, et si au moment de la crise décisive l’empire, trahi par la fortune, est resté frappé à mort par les premières défaites, ce n’est point parce qu’il a été malheureux, c’est parce qu’il a mérité son malheur, parce qu’il est apparu subitement à la sinistre lueur de nos désastres comme l’auteur imprévoyant et frivole d’une situation où, après avoir tout fait pour rendre la lutte inévitable, il s’est trouvé n’avoir rien fait pour la soutenir.

On peut tout expliquer, si l’on veut, par la fatalité des antagonismes héréditaires, des hostilités traditionnelles d’ambitions et d’intérêts qui conduisent parfois deux nations rivales sur un champ de bataille. On dira tant qu’on voudra que la Prusse, toujours impatiente de grandir, de fonder sa prépondérance en Allemagne, et la France, toujours portée à tourner un regard d’envie ou de regret vers le Rhin, devaient inévitablement se rencontrer. C’est la philosophie des causes générales. En réalité, ce sont les événemens de 1866 qui ont été politiquement, militairement, l’origine directe et précise des événemens de 1870 : ils en ont été l’ébauche, le prologue, ou, pour mieux dire, ils ont été une des péripéties de ce drame qu’on pourrait appeler le drame des agrandissemens prussiens, le drame aux trois actes sanglans, — la guerre de Danemark, la guerre d’Autriche, la guerre de France, — et, chose étrange, ces événemens dont la France à son tour devait être la victime après l’Autriche, après le Danemark, c’est la France qui les a rendus possibles, c’est par elle qu’ils ont pu s’accomplir pour retomber bientôt de tout leur poids sur elle ! Les événemens de 1866 ont eu en effet cela de particulier, j’oserai même ajouter d’irritant, qu’on pouvait certainement les empêcher ou du moins en profiter, si on ne voulait les empêcher ; au lieu de suivre l’une ou l’autre de ces politiques, on préférait se jeter dans une voie d’équivoques périlleuses ou stériles, laissant tout faire sans compensation, flottant entre les connivences secrètes et les réserves énigmatiques, sacrifiant les garanties les plus anciennes au vain orgueil de voir disparaître des traités dont on aurait été trop heureux de se couvrir le lendemain contre des combinaisons qu’on avait imprudemment favorisées. C’est là l’histoire de la France en 1866. Je ne raconte point tout ce triste passé ; je n’en veux dégager que ce qui montre comment cette crise de 1866, née de la guerre de Danemark, préparait fatalement notre guerre à nous, la guerre française, par les brusques déplacemens de puissance qu’elle déterminait, par les animosités et les mé-