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C’était la vive et patriotique préoccupation de bien des esprits réfléchis, préoccupation à laquelle le général Trochu donnait une forme précise et autorisée dans un livre aussi courageux que sincère, l’Armée française en 1867.

Au fond, on en venait à se demander si cette armée, sans avoir rien perdu de sa vaillance et de son élan, n’avait pas subi par degrés des influences de nature à l’altérer dans sa constitution, dans sa forte cohésion. Le système de l’exonération (loi de 1855), avec ses primes et ses pécules attachés au remplacement administratif, au réengagement, ce système n’avait-il point eu pour effet de tarir jusqu’à un certain point la sève, l’émulation, la puissance de rajeunissement, en encombrant les cadres d’élémens vieillis, en obstruant les premières avenues de la carrière devant les générations nouvelles de soldats ? L’action dissolvante des révolutions, les contagions du bien-être et du luxe passant de la société civile dans l’armée, les illusions nées de l’habitude du succès, le favoritisme impérial, toutes ces causes réunies n’avaient-elles pas contribué à développer des mœurs où le goût d’une instruction sérieuse, la discipline, l’esprit militaire, avaient reçu plus d’une atteinte ? Quant à la question de l’effectif, elle prenait certainement aussi une importance singulière. Numériquement, l’armée française comptait à peu près 600 000 hommes, dont 200 000 de réserve à peine instruits. Sur ces chiffres, il fallait déduire 60 000 hommes pour l’Algérie, 24 000 hommes de gendarmerie, les garnisons des places fortes, les troupes de dépôt ou de service intérieur, les non-valeurs organiques, — tout ce qui avait une destination, ou ce qui ne pouvait compter pour la guerre. Que restait-il donc pour ouvrir une campagne ? Peut-être 250 000 hommes, tout au plus 300 000 hommes, avec de médiocres ressources pour former une armée nouvelle, — et on avait désormais devant soi une force active, disponible, de 550 000 hommes pouvant arriver sur nos frontières en plusieurs armées de plus de 100 000 soldats, appuyées elles-mêmes sur des réserves sérieuses de plus de 400 000 hommes ! Le problème de la réorganisation militaire se présentait ainsi à la fois sous toutes les formes. De là des projets successivement soumis à des commissions de maréchaux et de généraux, au conseil d’état, et qui allaient se résumer définitivement dans cette loi du 1er février 1868 combinée de façon à faire face à un danger qu’on ne pouvait se dissimuler, sans trop violenter un pays à qui on ne cessait de répéter par des circulaires diplomatiques et par des discours que tout était bien.

La puissance militaire de la France se trouvait-elle réellement accrue ? Sans nul doute cette loi du 1er février 1868 qui supprimait