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— huit jours tout au plus, — où tout semblait marqué d’une sorte d’emportement fiévreux, où se précipitaient, comme s’ils eussent été pris de vertige, le gouvernement, le corps législatif, l’opinion, s’excitant mutuellement, aggravant les fautes par les fautes, les légèretés de la veille par les incohérences du lendemain. La première de toutes les fautes, c’était cette déclaration qu’on portait en toute hâte le 6 juillet au corps législatif. Tout était extraordinaire dans cette déclaration. Elle avait été à peu près improvisée le matin à Saint-Cloud, dans un conseil où une note préparée au ministère des affaires étrangères avait été transformée au feu de la discussion entre des ministres s’échauffant à l’envi. Ce n’était plus vraiment un exposé diplomatique, c’était un défi de guerre précédant toute explication, conçu de manière à désintéresser l’Espagne pour aller droit à la Prusse. Devant le pays, devant l’Europe, on déclarait qu’on ne souffrirait pas « qu’une puissance étrangère, en plaçant un de ses princes sur le trône de Charles-Quint, pût déranger à notre détriment l’équilibre actuel,… mettre en péril les intérêts et l’honneur de la France… » En exprimant l’espoir que cette éventualité serait détournée par la « sagesse du peuple allemand, » par « l’amitié du peuple espagnol, » on ajoutait aussitôt : « S’il en était autrement, forts de votre appui et de celui de la nation, nous saurions remplir notre devoir sans hésitation et sans faiblesse… » Cette déclaration, portée avec une certaine solennité au corps législatif par le ministre des affaires étrangères, par M. le duc de Gramont, avait et devait avoir immédiatement une double conséquence. D’un côté, on mettait le feu à l’esprit public ; on ravivait des passions, des ressentimens toujours mal apaisés contre la Prusse, au risque de dénaturer, de compliquer de la façon la plus grave cette question nouvelle qui venait de s’élever à l’improviste. On montait l’opinion à un point où de simples et raisonnables satisfactions lui sembleraient pâles. D’un autre côté, parler ainsi du haut d’une tribune, devant l’Europe, à un gouvernement fier, gonflé de récens succès, c’était commencer par le piquer dans son orgueil et lui rendre peut-être les concessions plus difficiles. De toute manière, on créait une situation inextricable.

Une seconde faute, après la déclaration du 6 juillet, c’était d’avoir l’air de s’engager dans une telle affaire un peu au hasard, sans préciser dès le premier moment ce qu’on voulait, au risque de se donner l’apparence d’un gouvernement indécis et emporté qui demandait à la fin ce qu’il n’avait pas demandé au commencement. Là était le danger de cette négociation que l’ambassadeur de France à Berlin, M. Benedetti, allait poursuivre dans des conditions déjà bien délicates auprès du roi de Prusse, à Ems. Qu’avait-on voulu