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tout d’abord ? L’abandon de la candidature Hohenzollern semblait rester évidemment l’objectif unique, essentiel de la négociation. Tout pouvait donc paraître fini le jour où cette candidature disparaissait par la retraite du candidat, bien mieux encore, lorsque le roi de Prusse autorisait M. Benedetti à faire savoir au gouvernement français « qu’il approuvait la renonciation » du prince son parent. Durant quelques heures, on le croyait ainsi, l’Europe n’en doutait pas et se sentait soulagée. Qu’arrivait-il cependant ? Au même instant partait de Paris l’ordre de réclamer du roi Guillaume un engagement pour l’avenir contre toute résurrection possible de la candidature Hohenzollern, c’est-à-dire qu’on avait l’air de vouloir faire revivre la question au moment où elle semblait s’éteindre. On allait assez étourdiment au-devant de la réponse que le roi Guillaume adressait à M. Benedetti : « Vous me demandez un engagement sans terme et pour tous les cas, je ne puis le prendre. » Vainement l’ambassadeur de France insistait-il, le roi s’abstenait dès lors de le recevoir en le faisant informer qu’il n’avait plus rien à lui communiquer à ce sujet. Ce complément inattendu de la dernière heure ne pouvait s’expliquer que par la nécessité de satisfaire l’opinion, livrée depuis quelques jours aux plus violentes surexcitations, et, s’il en était ainsi, on payait tout simplement la rançon de la faute qu’on avait commise par la déclaration du 6 juillet ; on subissait les entraînemens d’une opinion qu’on avait déchaînée et contre laquelle on n’osait plus réagir. Que la renonciation du prince de Hohenzollern fût spontanée, conseillée ou ordonnée, qu’elle fût du prince Léopold ou du prince Antoine son père[1], elle n’existait pas moins : « le fond était obtenu, » selon le mot de M. Thiers aussi bien que de toute la diplomatie étrangère ; le reste était pour l’orgueil, pour les susceptibilités engagées.

Voilà justement le point précis, grave et délicat. L’objet direct et légitime des réclamations françaises avait disparu, une question nouvelle venait de naître. Ce n’était plus la Prusse, cherchant à placer un de ses princes sur le trône de Charles-Quint, et la France, cherchant à l’empêcher, qui se trouvaient en présence ; c’était la France et la Prusse armées de bien autres griefs, de bien autres ressentimens qui entraient en conflit, et, par une conséquence qui allait se dévoiler presque instantanément, l’Europe qui avait jusque-là donné raison à la France, qui avait pressé vivement la Prusse de retirer la candidature Hohenzollern, cette Europe, déconcertée

  1. La renonciation était du prince Antoine, comme l’acceptation était du prince Antoine. Cette distinction entre le père et le fils, que M. le duc de Gramont jugeait assez importante pour la mentionner à titre de grief, dans une dépêche à M. Benedetti, n’avait dès lors aucune portée.