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graphiez-nous ; si le roi ne veut pas conseiller au prince de Hohenzollern de renoncer, eh bien ! c’est la guerre tout de suite, et dans quelques jours nous sommes au Rhin ! » Voilà comment marchent les choses ! Le 6 juillet, on commence par une déclaration qui compromet tout. Le 8 au soir seulement, M. Benedetti est à Ems ; le 10, le 11, on se plaint déjà des lenteurs. Le 12, dans la journée, arrive par une agence publique la nouvelle du désistement du prince de Hohenzollern. C’est peut-être une solution, c’est tout au moins le cas de s’arrêter, d’attendre d’Ems une communication officielle qui arrivera le lendemain, qui peut éclaircir la situation. Point du tout, le soir même on expédie l’ordre d’exiger un engagement pour l’avenir. Ici tout se complique plus rapidement encore par la brusque intervention de M. de Bismarck, qui a semblé jusque-là se tenir effacé. Toute l’habileté de M. de Bismarck est de savoir abandonner à propos cette candidature Hohenzollern, de profiter des fautes de ses adversaires, de leur laisser toutes les apparences de la provocation, en se réservant de leur fermer la retraite par un acte qui, sans être une insulte, est un coup d’aiguillon de plus, un moyen de plus d’intéresser l’orgueil allemand à sa cause. Le 13 juillet, il fait publier partout que le roi a décliné l’engagement qu’on lui demande et a refusé de recevoir M. Benedetti. À ce moment du reste, M. de Bismarck ne cache plus à l’ambassadeur d’Angleterre à Berlin, à lord Loftus, qu’il serait impossible à la Prusse « de rester tranquille et pacifique après l’affront fait au roi et à la nation par le langage du gouvernement français. » M. de Bismarck parle de l’affront fait au roi et à la Prusse, nos ministres parlent de l’outrage fait à la France par la divulgation affectée du refus d’audience. Dans la nuit du 14, le dernier mot est dit, c’est la guerre définitivement résolue à Paris.

Ainsi en moins de huit jours les destinées du pays sont engagées au milieu de la confusion de télégrammes fiévreux et entrecoupés, et ce que le gouvernement a décidé en quelques jours, le corps législatif va le sanctionner en quelques heures du 15 juillet, sans prendre même connaissance de quelques dépêches dont on lui parle, tenant pour avérée une offense que personne ne peut définir. Vainement M. Thiers se lève alors, opposant au torrent la prévoyance d’un patriotisme désespéré, répondant à ceux qui l’outragent par ces prophétiques paroles : « Je suis tranquille pour ma mémoire, je suis sûr de ce qui lui est réservé pour l’acte auquel je me livre en ce moment ; mais pour vous je suis certain qu’il y aura des jours où vous regretterez votre précipitation… » Vainement M. Thiers parle ainsi, on ne veut pas l’écouter, on lui crie fièrement : « Gardez vos leçons !.. Allez à Coblentz !.. » et on ne laisse pas même à l’Europe