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ville du Japon. C’est la cité industrieuse par excellence. Là se fabriquent les porcelaines d’Owari à grands ramages bleus, et des cloisonnés qui, sans atteindre à l’éclat de couleur des Chinois, font encore cependant la joie des collectionneurs. En franchissant les faubourgs, on voit à droite et à gauche s’élever de beaux bouquets d’arbres séculaires et des murs d’enceinte : ce sont les débris des yaskis (châteaux) inhabités des anciens tenanciers du prince d’Owari. Le siro lui-même ne nous montre plus que sa tourelle d’entrée, haute pagode à trois étages qui tombe en ruines. Le prince d’Owari était jadis un puissant seigneur : quelques-années encore, et son nom sera oublié ; la féodalité elle-même, submergée par le flot de la démocratie impériale, ne sera plus qu’un souvenir. Notons en passant que cette transition s’est opérée au Japon sans qu’une goutte de sang ait été versée, sans que la moindre résistance se soit manifestée. Des pessimistes, il est vrai, affirment que tout n’est pas fini, et que ce pays aura aussi son 1793. Rien n’annonce cette triste conclusion, et, quand on a vu les choses de près, on est convaincu que le passé est mort pour ne plus renaître.

Il est difficile d’imaginer une régularité de construction pareille à celle de Nagoya. Qu’on se figure un vaste échiquier coupé à angles droits, traversé de grandes artères et bordé uniformément de maisons en bois à un étage, avec grillage au rez-de-chaussée, grillage au premier étage. Les toitures en tuiles débordent de tous les côtés, caractère particulier à toutes les habitations de ce pays. Ces toitures ne manquent pas d’une certaine élégance, mais elles interceptent singulièrement le jour ; aussi, règle générale, toute maison japonaise est-elle très mal éclairée. On chercherait vainement à Nagoya un rond-point, une place. C’est du reste un trait commun à toutes les villes japonaises. La vie publique y est si complétement nulle que rien de ce qui ressemble à l’Agora et au Forum ou à nos places publiques n’est jamais venu à la pensée des constructeurs. Ce peuple, habitué à une obéissance passive, s’en remet entièrement à ses maîtres du soin de la chose publique. C’est dans l’intérieur de la maison que chacun reprend ses droits, ou plutôt c’est là que l’autorité du père de famille s’exerce dans toute sa plénitude, car la famille antique se retrouve ici dans toute sa pureté.

Nagoya présente le tableau d’une activité commerciale qui tend à s’éteindre au profit des ports ouverts. Elle a près de 200 000 habitans, et s’étend à une lieue du fond de la baie d’Owari. À ce premier inconvénient de n’être pas en communication directe avec la mer s’en joint un autre : la baie, perpétuellement comblée par des terrains d’alluvion qu’amènent les torrens, ne peut porter dans cette partie que de petites jonques ; les gros navires marchands, les vapeurs japonais, ne peuvent y pénétrer. Il faut donc que les mar-