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vaux, les Variagues semblent devoir être conservés à la Scandinavie. Cette filiation s’accorde mieux avec les annalistes byzantins comme avec les russes. Les noms de Rurik et de ses compagnons trahissent la race germanique : le caractère du pouvoir de leurs chefs, leur mode de partage des terres occupées et jusqu’à leur manière de faire la guerre confirment cette origine. C’étaient des Normands à la recherche d’un chemin vers Constantinople, qui, s’emparant de Novgorod et de Kief, fondèrent un état militaire et marchand entre la Baltique et la Mer-Noire, le long du Dniéper, alors une des grandes routes du commerce de l’Orient. Comme leurs frères d’Occident, ces Normands russes étaient, selon la remarque de Gibbon, plus redoutables sur l’eau que sur terre : montés sur de petites barques, ils allaient attaquer Constantinople et lui imposer des tributs ou des traités de commerce dont les chroniques nous ont conservé les clauses toutes pratiques.

Le premier droit russe, la Rousskaïa Pravda, montre encore l’empreinte germanique. Dans ce code, formulé par Iaroslaf plus d’un siècle et demi après Rurik, on croit même reconnaître de nombreuses coutumes normandes. Comme les peuples occidentaux, les Russes avaient alors le jugement de Dieu et le duel judiciaire ; comme eux, ils admettaient pour les crimes et le meurtre la composition pécuniaire, dont le nom même de vira rappelle le wehrgeld allemand. Entre cette première Russie et les états européens fondés par des tribus germaniques, on peut citer de nombreuses analogies. La difficulté est de distinguer ce qui appartient aux Variagues et à l’influence scandinave de ce qui revient aux Slaves. En Russie plus encore qu’en Occident, on risque de faire honneur aux Germains de ce qui est le fait des barbares, d’attribuer à la race les effets de l’état de culture. Slaves ou Germains, toutes ces tribus, parentes d’origine et de civilisation, avaient des ressemblances de mœurs et de coutumes qui rendent malaisé de faire dans les institutions la part de chacune. Certains usages des premiers Russes, ailleurs attribués à l’influence teutonique, comme leurs délibérations en commun et dans quelques cas l’élection des princes, peuvent être en Russie revendiqués pour les Slaves ; longtemps avant Rurik, Novgorod avait ses assemblées populaires ou vetchés.

Avec moins de profondeur, l’empreinte germanique eut en Russie moins de durée qu’en Occident. L’absorption de la surface scandinave par le fond slave fut plus rapide et plus complète que chez nous celle de l’élément franc par le fond gallo-romain. Les princes variagues eurent beau pendant plus d’un siècle appeler souvent des recrues de Scandinavie, leur établissement en Russie est plutôt comparable à celui des Normands en Neustrie qu’à celui des Méro-