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sorte de fédération de princes de même sang, ayant à leur tête leur aîné, ou mieux le plus ancien de la race. D’une telle constitution sortirent naturellement des guerres civiles qui, par l’affaiblissement réciproque des princes, permirent à quelques villes comme Novgorod de maintenir leur liberté et de s’élever à une haute puissance.

La période désolée par ces compétitions ne fut point stérile. Au milieu de ces luttes, et peut-être en partie grâce à elles, la Russie accomplissait l’œuvre capitale de son histoire, la colonisation des vastes contrées appelées aujourd’hui la Grande-Russie. Les Slaves du Dniéper ou du Volkof s’enfonçaient dans les solitudes de l’est, à la recherche de terres nouvelles ou de nouvelles voies commerciales, conduits par le zèle religieux ou par l’ambition qui poussait chaque kniaz à étendre ses états et à fonder des villes pour donner des apanages à ses enfans. Les peuples de race turque, qui occupaient les steppes du sud, détournaient cette colonisation vers le centre et le nord. Marchands, moines ou guerriers établissaient au bord des rivières ou au milieu des tribus finnoises des entrepôts, des couvens ou des villes fortifiées. Entre les immigrans slaves et les indigènes finnois, le christianisme servait de lien ; il fut le ciment d’un nouveau peuple. À en juger par le peu de souvenirs que conservent des anciens dieux slavons les Grands-Russiens, en comparaison de leurs frères de la Petite et de la Blanche-Russie, cette colonisation ne commença qu’après la conversion des Russes au christianisme. Elle fut si rapide, si facile, qu’en une centaine d’années ces colonies de l’intérieur rivalisaient avec les métropoles de l’Occident, et tendaient à devenir le centre de l’empire. Au milieu du xiie siècle, un kniaz de Vladimir, à quelques lieues à l’est de Moscou, prenait, sans changer de capitale, le titre de grand-prince, jusque-là réservé au souverain de Kief. Cette prétention amena entre les deux rivales une guerre dans laquelle la ville sainte de Kief fut prise et saccagée par des mains russes. Dans ces compétitions de princes, il n’y eut cependant ni lutte de races, ni schisme national entre les nouveaux Russes du Volga et les anciens du Dniéper, comme l’ont depuis prétendu ceux qui des Grands et des Petits-Russiens veulent faire deux nations différentes. Les contemporains ne semblent même point avoir soupçonné l’importance de cette révolution qui, avec un nouveau centre politique, allait donner à la Russie une direction nouvelle.

L’empire quittait les bords du Dniéper, devenus trop excentriques, pour s’établir au cœur du bassin du Volga, sur le plateau d’où partent les grands fleuves qui coulent à la Caspienne et à l’Euxin, à la Baltique et à la Mer-Blanche. Des Russes occidentaux qui n’avaient pas su maintenir l’unité nationale, la souveraineté