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ger apporte sur lui et qui est de 80 à 100 dollars) ; mais il faut bien reconnaître aussi que c’est surtout à l’immigration que les États-Unis doivent leur remarquable accroissement de population. Si le nombre des habitans y double tous les vingt ou trente ans, — et la force réelle d’une nation peut se mesurer par le nombre d’hommes qu’elle renferme, — c’est grâce à cet essaim d’Européens qui se fixe dans le pays. On estime aujourd’hui à 40 millions le nombre total des habitans des États-Unis ; il ne serait guère que de 20 millions sans les immigrans qui depuis cinquante ans viennent féconder ces riches contrées[1] : 20 millions, c’est le nombre d’habitans que les États-Unis avaient vers 1840 ; ils ont donc gagné trente ans de développement, de progrès, de prospérité, rien que par le fait de l’immigration. Ce simple exemple n’est-il pas concluant, et ne montre-t-il pas, mieux que tout raisonnement, l’importance et le rôle de l’immigration aux États-Unis ?

N’oublions pas que c’est aussi par suite de l’immigration que la grande république a pu donner le droit de cité à des hommes tels que le Suédois Ericsson et le Suisse Agassiz, — Ericsson, qui devait payer l’hospitalité américaine par nombre d’inventions mécaniques des plus heureuses, entre autres celle des monitors à tourelles, ces monstres blindés qui contribuèrent pour une si grande part à consolider la victoire du nord à la fin de la guerre de sécession, — Agassiz, un des maîtres les plus éminens de l’histoire naturelle contemporaine, dont la science déplore la perte encore si récente. Il était déjà célèbre quand il quitta Neufchâtel en 1847, et depuis il devint plus méritant encore, s’il est possible, et resta citoyen de l’Amérique malgré les propositions les plus brillantes que la France lui fit à diverses reprises pour amener chez elle, ce glorieux successeur de Cuvier[2]. Dans un ordre plus modeste, il sera peut-être permis de rappeler que plusieurs des personnages cités aujourd’hui parmi les plus riches des États-Unis, dans ce pays où l’on compte de si immenses fortunes, ont été au début de pauvres émigrans, notamment cet

  1. De 1820 à 1870, les États-Unis n’ont pas reçu moins de 7 550 000 immigrans (Special report on immigration, by Edward Yung, Washington, 1871 et 1872).
  2. Agassiz était accompagné, quand il quitta Neufchâtel, de quatre amis, des savans aussi, et qui comme lui n’ont plus abandonné l’Amérique. L’un est M. Lesqeureux, botaniste de grand renom, surtout pour la flore fossile ; l’autre est M. Guyot, qui a élevé aux États-Unis l’enseignement de la géographie à une hauteur qu’on n’a pas encore atteinte en Europe ; le troisième est un archéologue et un juriste distingué, M. Matile, aujourd’hui examinateur au bureau des brevets à Washington ; le quatrième enfin est M. le comte de Pourtalès, dont les sondages et les recherches sur le fond des mers, notamment de la mer des Antilles, sont connus de tous les hydrographes et naturalistes. Il ne faut pas beaucoup d’hommes comme ceux-là, arrivant dans la force de l’âge, pour élever le niveau scientifique d’un pays.