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Enchaîné par une dévotion étroite au catholicisme, Louis XIV porte un coup terrible à la richesse nationale par la révocation de l’édit de Nantes, qui chasse du royaume la population la plus industrieuse et la plus productive, parce qu’étant exclue à cause de ses croyances des maîtrises et des jurandes elle n’était point soumise à leur réglementation étouffante, et que l’édit de Nantes, en lui assurant la liberté religieuse, lui avait assuré en même temps la liberté industrielle avec tous les avantages que comporte une intelligente initiative. La ruine commence avec les persécutions religieuses et la guerre de la succession d’Angleterre, conséquence fatale d’un prosélytisme aveugle qui voulait imposer à un grand peuple des rois que repoussait sa conscience. Il faut à la fois faire face aux éventualités d’une lutte qui s’engage sur le continent et sur toutes les mers, et satisfaire aux prodigalités d’une cour qui suffisait seule à dévorer les ressources de la paix. Les anciens impôts subissent une augmentation considérable, de nouveaux impôts sont créés, entre autres la capitation, à laquelle l’héritier de la couronne lui-même est soumis ; les recettes n’en restant pas moins bien au-dessous des dépenses, il faut trouver de l’argent, ce qui entraîne un retour déplorable aux expédiens empiriques qu’avait proscrits Colbert. « Louis XIV, ainsi que le dit Saint-Simon, tire le sang de ses sujets et en exprime jusqu’au pus ; » il érige en monopole la vente de la glace et de la neige à rafraîchir les boissons ; il donne aux notaires, moyennant 1 000 livres une fois payées par chacun d’eux, le droit d’augmenter d’un tiers le taux des vacations pour inventaires, il crée dans toutes les branches de l’administration royale et municipale les charges les plus inutiles, les plus ridicules même. Les sacremens du baptême et du mariage sont transformés en matière imposable ; on ordonne aux habitans des villes closes d’éclairer pendant la nuit leurs rues et leurs places, et on établit en même temps sur les appareils d’éclairage un « droit de lanterne » relativement fort élevé, uniquement pour forcer les habitans à s’en racheter ; on leur ordonne de démolir les maisons bâties dans la zone des terrains fortifiés, uniquement pour leur vendre l’autorisation de les laisser debout. On frappe de fortes taxes les matières premières et les objets manufacturés, et par le renchérissement des produits on ferme à notre industrie nationale les marchés étrangers, où, grâce aux sages mesures de Colbert, ils soutenaient avantageusement la concurrence.

La guerre de la succession et l’hiver de 1709 mirent le comble aux embarras du gouvernement et à la misère du pays. La fiscalité aux abois fut forcée de recourir au papier-monnaie, qu’on décora du nom de billets d’état, à la confiscation des biens communaux, à la revente des offices, à l’altération des monnaies, aux emprunts,