Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/461

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

conservateur dans ses lois, dans son action administrative, nous ne demandons pas mieux ; notre grief, c’est précisément qu’il n’est plus un conservateur prévoyant lorsque, par une stratégie qu’il n’est pas toujours aisé de pénétrer, en identifiant la présidence septennale avec certains partis, il arrive à créer une situation où par la force des choses un vote qui semblerait n’atteindre qu’un cabinet peut mettre en cause le gouvernement tout entier. Voilà la question. Qu’on y réfléchisse bien : ce n’est pas la paix sociale qu’on prépare ainsi, c’est à des crises nouvelles et plus graves qu’on peut conduire le pays sans le vouloir.

Quant à l’intérêt parlementaire, ce n’est point apparemment par l’incohérence et la contradiction qu’on peut le servir. S’il ne s’agissait que d’une loi ou d’une proposition ajournée, puis reprise, d’un vote démentant ou redressant un autre vote, il n’y aurait rien de bien sérieux ; ce ne serait pas la première fois qu’une assemblée aurait des avis différens à quatre jours d’intervalle. Ce qui est infiniment plus grave, c’est l’état parlementaire, le degré de confusion dont ces contradictions et ces surprises sont l’expression. Évidemment plus on va, plus cet état devient aigu ou peut-être même chronique à Versailles, et, si on continue ainsi, on arrivera à une sorte d’impuissance finale. On se sera épuisé en luttes stériles, en conflits de partis, sans avoir fait les affaires qui intéressent le plus le pays. On parle toujours du régime parlementaire, de ses conditions, de ses garanties, de ses obligations. Il n’y a point de régime parlementaire là où il n’y a pas pondération de pouvoirs par la diversité des assemblées, là où le gouvernement n’a pas le droit de dissoudre une chambre. On n’y réfléchit pas assez, ce qui se passe à Versailles est d’une nature toute particulière : c’est l’omnipotence d’une assemblée unique, souveraine, si bien que certaines opinions se croient encore le droit de disposer du pays même après avoir créé la présidence septennale. Il en résulte que ce qu’on appelle le gouvernement parlementaire est tout simplement la dictature de l’assemblée ou de la majorité de l’assemblée, c’est-à-dire d’un parti, et lorsque les partis sont tellement divisés qu’une chambre est partagée en deux camps presque égaux, tout devient singulièrement grave : c’est la lutte permanente, organisée, tenant le pays incessamment suspendu entre l’impuissance définitive née de la division, de la neutralisation des partis, et quelque redoutable éclat né de l’ardeur des passions. Voilà où l’on arrive, et c’est précisément parce qu’il en est ainsi à Versailles que la commission constitutionnelle, au lieu de perdre son temps en études d’érudition électorale, devrait se hâter de préparer les lois qu’on lui demande pour mettre fin à cette situation pleine de périls par l’organisation d’un régime régulier. Ceux qui parlent toujours d’ordre, de conservation, de régularité parlementaire, devraient être les plus désireux de hâter la fondation de ce régime, et, par une singularité que l’esprit de parti explique seul, ce sont les plus récalcitrans. M. de Broglie vient d’aigui-