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par le poète, Callicolone, l’Érinéos, les tombeaux d’Ilus, d’Æsyétès, la tombe commune des Grecs. Quant à la difficulté que faisaient naître l’opinion des plus anciens auteurs et la tradition populaire du pays, tradition que les dissertations des savans alexandrins n’avaient pu rompre, Le Chevalier la résolut d’un seul mot en donnant à l’Ilion de la colonie grecque (Hissarlik) l’épithète de novum ou de recens, et ce fut depuis lors la nouvelle Ilion par opposition à l’Ilion des temps héroïques. Il fut admis que Virgile s’était trompé avec le peuple et avec les politiques romains, qu’il avait faussement cru que de Troie on pouvait apercevoir Ténédos. En effet, disait-on, cette île, visible d’Hissarlik, est cachée par une rangée de hauteurs aux habitans de Bounar-Bachi.

À la fin du dernier siècle, la critique n’était pas très sévère, et les voyages en Turquie étaient fort rares. Les raisons données par Le Chevalier parurent solides, ses conclusions devinrent classiques. Elles furent adoptées et soutenues par Rennel dans ses Observations on the topography of the plain of Troy, publiées à Londres en 1814. Choiseul-Gouffier, ambassadeur de France près la Sublime-Porte, dans son Voyage pittoresque de la Grèce, qui parut en 1820, ne s’éloigna pas notablement des idées de Le Chevalier, qui furent également reprises par Mauduit, architecte de l’empereur de Russie. Quoique les Découvertes dans la Troade n’aient été publiées par cet artiste trop peu érudit qu’en 1840, il put dès l’année 1838 communiquer à MM. Raoul-Rochette et Morey un plan des constructions encore visibles au-dessus de Bounar-Bachi, où il avait cru reconnaître les fondations de Pergame. M. Morey, architecte et ancien élève de notre académie de Rome, vit bien que ces ruines n’avaient pas un caractère de haute antiquité ; toutefois, craignant sans doute de rompre trop brusquement avec l’idée généralement adoptée de Le Chevalier, il se contenta de franchir le Scamandre, en lui laissant le nom usurpé de Simoïs, et de chercher Ilion de l’autre côté du torrent. Là en effet il y a quelques ruines qui sont indiquées sur la carte de Graves, mais trop petites pour qu’on leur ait jamais attribué de l’importance. Cette idée nouvelle n’eut donc pas d’écho. L’opinion courante continua d’être admise malgré les critiques faites en 1822 par Mac Laren dans une dissertation publiée à Édimburgh. On la retrouve en 1842 dans un écrit de M. Forchhammer, dans les opuscules de Welcker, dans Texier et dans le savant travail de M. Nicolaïdès, Topographie de l’Iliade (Paris, 1867). Dans le plan qui accompagne cet ouvrage, l’auteur a restitué son nom au Scamandre, mais n’en a pas indiqué les anciens lits, et il a conservé à la colline d’Hissarlik le nom de nouvelle Ilion inventé par Le Chevalier. Du reste, si l’on admet l’authenticité du chant de l’Iliade