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elle-même était branche cadette de celle d’Anhalt-Zerbst. Aussi, comme la plupart des principicules germains de l’époque, avait-il été chercher fortune au dehors. Élevé à l’Académie des chevaliers à Berlin, il était entré au service de Frédéric Ier : il avait fait sous le drapeau de Brandebourg la guerre de la succession d’Espagne et combattu les Français à Malplaquet et sous les places fortes des Pays-Bas. Promu général, puis feld-maréchal, son quartier était à Stettin. C’est dans cette ville prussienne que naquit la princesse allemande destinée à régner sur la Russie. La mère de Catherine II, Jeanne-Élisabeth, était la quatrième fille du duc de Holstein, et par là se trouvait une alliée très proche de la maison de Russie. L’héritière du prince d’Anhalt-Zerbst-Dornburg se trouvait donc signalée, par les services de son père à la bienveillance de Frédéric II, par les alliances de sa mère aux bontés de la tsarine Élisabeth. Frédéric II fut en effet le négociateur du mariage de notre héroïne, qui n’était alors que Sophie-Frédérique d’Anhalt, avec Pierre de Holstein, petit-fils de Pierre le Grand[1] et neveu d’Élisabeth, qui l’avait déjà désigné pour son successeur à la couronne. Ainsi qu’il l’avoue dans ses Mémoires, s’il se mit en peine de chercher femme pour le prince assez médiocrement doué qui devait recueillir l’héritage des Romanof, c’était uniquement par intérêt, par politique, et pour empêcher le mariage du grand-duc avec une princesse de Saxe. « Rien n’était plus contraire, nous dit-il, au bien de l’état de Prusse que de souffrir qu’il se formât une alliance entre la Saxe et la Russie, et rien n’aurait paru plus dénaturé que de sacrifier une princesse du sang royal de Prusse pour débusquer la Saxonne. » Frédéric aimait trop ses sœurs pour les risquer dans les intrigues, souvent sanglantes, d’une cour qu’il regardait comme barbare. Il avait d’avance recommandé à son envoyé auprès d’Élisabeth de décliner adroitement toute proposition de ce genre et de faire en sorte qu’on ne vînt jamais à lui en parler. Pour racheter ce précieux sang royal de Prusse, il sacrifia le sang plus vil d’une princesse de second ordre. « On eut recours, dit-il, à un autre expédient. De toutes les princesses en âge de se marier, aucune ne convenait mieux à la Russie et aux intérêts prussiens que celle d’Anhalt-Zerbst. » Comme l’impératrice Élisabeth avait alors, — c’était avant les épigrammes qui amenèrent la guerre de sept ans, — une grande confiance en Frédéric II, elle s’était adressée à lui pour trouver la fiancée de son neveu. Le roi ne prit même pas la peine de consulter les parens de Sophie ; elle fut proposée par lui et acceptée par la tsarine. Cependant, pour faire réussir le plan, il fallait agir avec le plus grand secret, échapper aux regards défians du premier mi-

  1. Par sa mère Anna Pétrovna, mariée à Charles-Frédéric, duc de Holstein-Gottorp.