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partiellement, tardivement, fort peu préparés de toute façon à entrer en campagne ; ils débarquaient quelquefois en plein combat, réduits à chercher leurs régimens au feu[1].

Ce n’était là encore qu’un côté de cette mobilisation désordonnée. Faute d’une organisation permanente de l’armée, tout était à faire au moment de la guerre. On avait, il est vrai, quelques divisions constituées au camp de Châlons, à Paris et à Lyon. C’était un premier noyau précieux sans doute. Pour le reste, il fallait rassembler en toute hâte des régimens qui ne se connaissaient pas, qui n’avaient aucune habitude d’action commune, former avec ces régimens des brigades, des divisions actives, organiser des états-majors, les services de l’artillerie, du génie, de l’administration, et tout cela, il fallait le faire précipitamment, non pas sur place, — sur les chemins, en courant et à tâtons. De là un désordre complet et à peu près inévitable dans de telles conditions. Des généraux cherchaient leur brigade ou leur division, des régimens ne savaient pas où étaient leurs généraux. Un chef supérieur s’étonnait de n’avoir aucune nouvelle de l’état-major de son artillerie, qui était à quelques lieues de là. Les intendans étaient à la poursuite de leurs corps d’armée ; l’un d’eux fut même désigné pour être attaché à un corps de cavalerie qu’il « n’a jamais pu trouver, selon le directeur de l’administration de la guerre, attendu qu’il n’a jamais existé. » Au 27 juillet, le major-général, par une dépêche adressée à Belfort, demandait à un général qui se trouvait encore à Paris « où il en était de sa formation, » et c’est ainsi que, faute d’ordre et de méthode, cette opération si compliquée, si délicate, d’une grande mobilisation devenait une agitation incohérente où ne se reconnaissaient même plus ceux qui étaient chargés de la diriger. On avait cru aller plus vite en brusquant le départ, on tombait dans les lenteurs et les misères d’une confusion immense.

La mobilisation eût-elle été d’ailleurs mieux réglée et plus complète par ce côté tout militaire, les préparations matérielles manquaient. Ces divisions qu’on poussait fiévreusement en avant étaient dépourvues des choses les plus essentielles. Elles n’avaient ni services administratifs, ni ambulances, ni transports, ni équipages. De tous les côtés, de tous ces corps qu’on croyait organisés parce qu’on leur avait donné un ordre de mouvement, parvenaient à Paris les mêmes lamentations dans des dépêches invariables. « Le 1er corps doit se porter en avant, je n’ai encore reçu ni un soldat du train ni

  1. Encore au 29 juillet, le maréchal Lebœuf en était à écrire de Metz au ministre de la guerre à Paris : « Des majors annoncent à leurs corps qu’ils ont des hommes de la réserve prêts, mais qu’ils ne reçoivent pas d’instructions pour les diriger sur les bataillons de guerre ; il est urgent de rappeler les ordres à ce sujet. » C’était la conséquence du système qu’on avait mis en pratique dès le début.