Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/635

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un ouvrier d’administration. — Le 3e corps quitte Metz demain ; je n’ai ni infirmiers, ni ouvriers d’administration, ni caissons d’ambulance, ni fours de campagne, ni train… — Le 4e corps (Thionville) n’a encore ni cantines, ni ambulances, ni voitures d’équipage… » Il n’y avait pas d’infirmiers parce que ceux qu’on pensait prendre dans la réserve avaient été dirigés sur leur dépôt en Afrique, et, quand ils revinrent, l’armée était déjà en déroute[1]. Le même décousu éclatait dans toutes les parties du service. Des troupes expédiées de Lyon ou de Marseille pour l’Alsace devaient arriver complétement munies ; pour gagner un jour, on anticipait leur départ, on les mettait en route sans leurs bagages, et à leur arrivée elles étaient dénuées de tout, on n’avait pas à Strasbourg de quoi remplacer ce qu’elles avaient abandonné. De toutes parts, on réclamait à grands cris les objets de campement les plus nécessaires aux soldats aussi bien que les approvisionnemens les plus indispensables. Sur certains points, faute de boulangers, on mangeait le biscuit, qui commençait à manquer dès les premiers jours, de telle façon que le major-général lui-même, couronnant cette série de plaintes dont il aurait pu prendre sa part, écrivait : « Je manque de biscuit pour marcher en avant ! » Et on n’était qu’au 29 juillet.

Ce sont les acteurs mêmes de la guerre qui ont peint de la façon la plus saisissante le désordre de cette malheureuse entrée en campagne, l’insuffisance de toutes les préparations matérielles. Un des hommes les plus éminens de l’administration militaire, M. Friant, raconte qu’étant en inspection à Marseille il recevait tout à coup, le 17 juillet, l’ordre de rejoindre comme intendant le 3e corps à Metz. Habitué à la guerre et à la manière dont on la faisait, il se méfiait ; il demandait aussitôt par le télégraphe à son collègue de Metz ce qu’il y avait dans les magasins ; il apprenait qu’on n’a-

  1. Le fait est curieux et triste comme spécimen de confusion. Pour arriver à compléter le service en infirmiers et en ouvriers d’administration, on avait besoin de prendre 4 900 hommes sur la réserve. On s’était d’abord arrêté à l’idée de diriger ces hommes sur un dépôt spécial créé au camp de Châlons, au lieu de les laisser aller rejoindre leurs dépôts en Algérie. Cette combinaison parut inadmissible au service du recrutement, comme étant de nature à compliquer l’opération déjà si complexe de l’appel des réserves. On eut alors recours à un expédient, on donna au général commandant la 9e division militaire à Marseille l’ordre de retenir au passage tous les fonctionnaires de l’intendance, officiers d’administration ou de santé, ouvriers, infirmiers militaires dirigés sur l’Algérie. Rien ne fut fait, ou du moins l’ordre ne fut exécuté que pour les officiers. Le général, ennuyé de la quantité d’hommes qui affluaient à Marseille, les expédia sans distinction sur Toulon pour être embarqués. À la date du 20 et du 25 juillet, tout cela partait pour l’Afrique pour ne revenir que plus tard, et voilà comment les ouvriers d’administration et infirmiers manquaient à l’armée. C’est M. l’intendant-général Blondeau qui raconte ce singulier épisode de la mobilisation. — Voyez, dans l’enquête parlementaire, les dépositions des intendans, qui sont toutes aussi instructives que saisissantes sur cette partie de l’organisation de la guerre.