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faits, qui compteront un jour entre les plus grands de l’histoire, sont d’une part l’individualité puissante déployée par le pape Pie IX durant son mémorable pontificat, de l’autre l’apparition subite de la Prusse, réalisant ce qu’on n’avait pas vu depuis les Othons, je veux dire un principe d’hégémonie politique, militaire et religieuse constitué au centre de l’Europe par l’unité des forces germaniques.

Le règne du pape Pie IX sera considéré un jour comme le plus extraordinaire de toute l’histoire de la papauté. D’abord il a été de beaucoup le plus long, et cela seul eût suffi pour en faire le point de départ d’une ère de révolution. La singulière royauté élective qui s’est si longtemps maintenue à Rome, grâce à la tradition d’habileté que garda l’aristocratie ecclésiastique de cette ville, héritière de l’antique patriciat, n’était possible qu’avec de courts pontificats. Le vieux cardinal sur la tête duquel on posait la tiare était d’ordinaire plus ou moins désabusé ; son pouvoir immense, les adulations du monde entier qui l’entouraient, n’avaient pas le temps de l’enivrer. Des règnes qui duraient en moyenne cinq ou six ans n’arrivaient jamais à changer le fond du collége des cardinaux ; presque toujours la partie du sacré-collége qui durant la vie d’un pape avait fait partie de l’opposition triomphait après sa mort. De là un balancement régulier, qui empêchait les imprudences de s’accumuler dans un même sens. Il n’en a pas été ainsi de notre temps. Pendant vingt-cinq ans, une direction absolument identique a présidé à la politique de la cour de Rome. Pie IX a changé, il est vrai, et changé plus qu’aucun homme dont on ait gardé le souvenir ; mais il n’a changé qu’une fois. Depuis 1849, il n’a pas dévié un jour de la politique que, dans son exil exaspéré de Gaëte, il conçut comme une révélation du ciel. Chaque année a marqué un progrès dans la voie qui devait mener aux prodigieuses apothéoses de 1870. Presque toute la curie romaine a été renouvelée dans le même esprit ; huit membres seulement dans le sacré-collége ne doivent pas leur nomination au pontife dominateur qui, non content de s’être décerné l’infaillibilité, tient avant tout à régner après sa mort et à imposer ses vues personnelles à l’avenir.

Assurément ce n’est pas de nos jours que date chez la papauté la tendance à outrer ses prétentions. Le moyen âge, de Grégoire VII à Boniface VIII, vit se développer la tentative la plus hardie pour faire du pontife romain une sorte de calife chrétien. Cette tentative, comme toutes les grandes choses, réussit à demi, puis échoua. Elle eut pour conséquence les tristes abaissemens du XIVe et du XVe siècle, la papauté vassale à son tour des souverains qu’elle avait voulu dominer, les spectacles mesquins d’Avignon, deux et trois papes à la fois, s’excommuniant, se maudissant. Le schisme eût été