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un tel pays, on n’épilogue pas sur les dogmes ; quand on abandonne la religion établie, c’est pour passer sans réserve à la libre pensée.

Les uns verront là un profond abaissement, d’autres y verront un progrès. Il est certain que la France bénéficia en cette circonstance de deux grands avantages qu’elle avait sur les pays allemands : 1o de sa législation excellente, qui permet au citoyen de jouir de tous ses droits en dehors des cultes établis, 2o de son grand détachement des symboles religieux. En France, on ne comprend plus guère qu’on tienne sérieusement à telle ou telle confession de foi. Au fond de notre religion tout extérieure et politique, il y a un scepticisme assez judicieux. On adopte tout, parce qu’on sait qu’en pareille matière tout et rien se ressemblent. La religion devient ainsi comme ces remèdes qu’on prend sans les goûter, et sans savoir ce qu’ils renferment. On admet la croyance sur l’étiquette, sauf à être mille fois hérétique dans le détail. Nous ne disons pas que cela soit très philosophique ; mais la France ne veut pas qu’en pareille matière on se pique de beaucoup de philosophie. Pauvre pays ! même dans ses erreurs, il y a plus d’esprit que dans la vérité des autres !.. Le sentiment qui nous fait regarder toute discussion théologique comme une preuve de simplicité et de mauvais goût tient à cette opinion enracinée et très juste, qu’en cet ordre rien n’est vrai ni faux. — L’Italie se place volontiers au même point de vue. L’émotion qu’elle éprouve en ce moment n’a rien de commun avec le concile. Ce concile, sans les circonstances politiques, eût passé pour elle presque inaperçu, parce que la situation du fidèle, de celui qui doute, de celui qui ne croit pas, à l’égard de l’église, est en Italie à peu près ce qu’elle est en France. L’Italie devança même la France dans cette voie. Les averroïstes italiens de la seconde moitié du moyen âge, les païens du XVe siècle et de la première moitié du XVIe, raisonnaient exactement de la même manière. La superstition est bonne pour le superstitieux. Mundus vult decipi, decipiatur.

Tout autre fut l’effet du concile du Vatican sur les pays allemands. Le catholique allemand un peu cultivé a des habitudes presque protestantes ; il sait sa religion, la raisonne, admet ceci, n’admet pas cela. À côté de l’évêque et du prêtre, la plupart des pays catholiques allemands ont le docteur en théologie dont les décisions ont, en matière de foi et de morale, une autorité parfois supérieure à celle de l’évêque. Un maître de religion laïque est souvent chargé dans les établissemens d’instruction publique de l’enseignement religieux. Autant il était peu probable que les évêques se détacheraient de l’unité catholique, autant il était écrit d’avance que la défection