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cidence historique des plus frappantes, la papauté et l’Allemagne ont atteint au même moment le point culminant de leur orgueil. Un choc terrible était inévitable, comme quand deux vagues en sens contraire se rencontrent et trouvent dans leur opposition une force qui décuple leur élan.

Le concile du Vatican avait mis la conscience catholique dans un état de fièvre d’où il était bien difficile que l’on sortît paisiblement. Il eût été assez naturel que le déchirement se produisît pendant le concile même. La majorité, pour qui connaît l’église catholique, ne fut pas douteuse un moment ; mais on eût pu croire qu’une minorité d’évêques, surtout allemands, hongrois ou slaves, se fût séparée. Tout concile dans l’histoire a créé un schisme en quelque sorte parallèle. Telle est la profondeur de la révolution opérée dans l’église catholique depuis qu’elle s’est abandonnée sans réserve aux idées de centralisation, que pas un seul des membres de l’opposition du concile n’a suivi une voie qui était en quelque sorte indiquée ; même M. Hefele, même M. Strossmayer se sont soumis. Ces hommes éminens ont bien vu que, dans l’état de la catholicité moderne, il n’y a pas de place pour un évêque schismatique. Ils sont restés attachés à l’église, quand l’église s’engageait dans une voie qu’ils blâmaient. Cependant il était impossible que tous les ecclésiastiques, tous les laïques, observassent la même modération ; le schisme, suspendu comme par miracle durant la réunion des évêques, ne pouvait manquer d’éclater après la clôture de cette session qu’on appelle la première, mais qui sera sans doute l’unique de cette étrange assemblée.

Pour un esprit pénétrant, il était clair que la crise se produirait surtout en Allemagne. La France et les autres pays du même genre, où le catholicisme est une sorte de vieille habitude, précieusement gardée, parce qu’elle règle et pénètre la vie, ne pouvaient qu’être tout à fait indifférens à ce nouveau dogme, comme à celui de l’immaculée conception. La plupart des personnes à qui on révélait les dangers de ces additions téméraires faites à une croyance tenue pour immuable avouaient naïvement qu’elles ne voyaient dans tout cela rien de nouveau, et qu’elles s’imaginaient depuis longtemps être obligées de croire ce qu’on venait de promulguer. Quelques ecclésiastiques instruits reculèrent seuls devant des excès auxquels répugnait leur éducation théologique. La masse resta parfaitement insoucieuse. Un dogme de plus, un dogme de moins, on ne s’inquiéta pas de si peu de chose. Le croyant était prêt à tout admettre ; quant à l’incroyant, que lui importait ? L’extrême ignorance religieuse du laïque rend tout possible chez nous ; nous n’avons pas de théologiens, ou, si nous en avons, personne ne pense à eux, ne les consulte. Dans