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qui trompe sur la qualité de l’objet vendu, puisqu’il promet à prix d’argent un bonheur chimérique ; mais qui démontrera au croyant que c’est une chimère ? Il faudrait entrer dans la discussion, et les meilleures raisons du monde ne convaincraient pas le fidèle « assassin. » Que l’état renonce donc à convertir même ceux qui s’égarent ; qu’il ne s’attribue aucun droit de décider sur la vérité des doctrines ; que l’honnête citoyen qui paie ses impôts et s’acquitte du service militaire ne soit pas obligé par surcroît d’avoir une solution pour le problème insoluble des rapports de l’homme avec la Divinité.


III.

L’orage religieux qui a éclaté en Suisse se présente sous deux aspects très divers. Dans le Jura bernois, l’affaire s’est à quelques égards engagée comme en Prusse. Un grand nombre de laïques refusent de se soumettre au dogme de l’infaillibilité ; quelques curés se joignent à eux, leur évêque les destitue. L’autorité cantonale de Berne les maintient ; l’évêque résiste. On le destitue et on l’exile ; les curés restés fidèles à Rome et à leur évêque sont remplacés par des curés « vieux-catholiques. » La population, dans ce conflit, se prononce en majorité, dit-on (mais il est très difficile d’apprécier une telle majorité), pour le schisme avec Rome. Les réflexions que nous avons faites sur les mesures prussiennes nous dispensent de dire ce que nous pensons d’un pareil état de choses. La majorité en Prusse est sacrifiée, la minorité l’est dans le Jura bernois ; le droit naturel l’est également des deux parts. Un nombre considérable de catholiques bernois sont privés des sacremens et des consolations religieuses auxquels ils ont droit et pour lesquels ils font les sacrifices voulus par la loi.

Le conflit genevois a peu de ressemblance avec celui que les gouvernemens de Berlin et de Berne ont tranché avec tant de raideur. La cause est bien la même ; c’est l’esprit de vertige dont la cour de Rome semble possédée qui cette fois encore lui enlève une province importante ; mais tout le reste diffère. Dans le conflit allemand et dans celui de Berne, l’offensive a été prise par le gouvernement prussien et par le gouvernement bernois. À Genève au contraire, l’agression est venue du gouvernement pontifical. Il semble que, fidèle à la vieille maxime romaine, le Vatican ait pour principe de montrer d’autant plus d’audace, d’inflexibilité, de hauteur, que les circonstances lui sont plus contraires ; il croit que l’on amoindrit sa détresse en prenant des airs de vainqueur. Cela est bon, quand on est jeune ; mais quand on n’a plus pour force que le respect qui s’attache à ce qui est vieux et faible, on se perd par de telles manières d’agir.