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les autres sont descendues par le grand Rhône de Beaucaire à Arles, par le petit Rhône d’Arles à Saint-Gilles, et par la branche occidentale, alors existante, de Saint-Gilles à Aigues-Mortes. La hauteur des assises, l’appareillage, les signes lapidaires, sont les mêmes que ceux des remparts. La construction de la Peyrade doit donc être contemporaine de celle des fortifications en 1272 et remonter au règne de Philippe le Hardi. Des enrochemens considérables défendaient cette digue du côté du large ; elle était destinée à protéger les bateaux qui naviguaient dans l’étang du Repausset, et venaient aborder par l’étang de la ville à la porte marine des remparts d’Aigues-Mortes.

Le paysage qui environne Aigues-Mortes est des plus remarquables : à l’horizon du nord, les Cévennes, — plus près les collines couvertes des vignobles de Lunel, plus près encore le rideau de dunes couvertes de pins parasols, dont l’aspect rappelle celui des cascines de Pise à l’embouchure de l’Arno et la Selva Laurentina près de celle du Tibre. D’un autre côté, le terrain uniformément plat, traversé par le long canal rectiligne d’Aigues-Mortes à Beaucaire et ses embranchemens, fait songer à la Hollande ; mais entre la ville et la mer la contrée a un aspect particulier et tout à fait caractéristique. Les arbres sont rares ; ce sont des tamaris[1], quelques figuiers, des pins d’Alep et des aïlantes plantés sur les dunes pour les fixer. Les herbes et les arbrisseaux qui couvrent le sol appartiennent à la catégorie de ces plantes littorales aux feuilles grasses, aux fleurs microscopiques et incolores, telles que les joncs, les soudes, les aroches, les salicornes, qui ne prospèrent qu’au bord de la mer dans les terrains pénétrés de sel. Çà et là s’élève une grande touffe du saccharum Ravennœ, graminée ornementale, qui mériterait de prendre place dans nos jardins. Seuls le lis marin[2] en été et en automne les statice et les asters émaillent de leurs fleurs colorées le tapis végétal. La vue de cette flore terne et uniforme rappelle celle du Sahara algérien, dont le sol pénétré de sel marin a conservé la végétation qui couvrait les lagunes d’une mer disparue ; ses lacs salés et ses eaux saumâtres en sont les derniers témoins. La mer s’est desséchée ; elle ne communique plus avec la Méditerranée, dont elle n’est séparée que par un isthme étroit situé sur les côtes de la Tunisie, au fond du golfe de Gabeuss ou petite Syrte des anciens, qui avoisine les limites de nos possessions africaines. Ainsi, à une époque antérieure à l’histoire du genre humain, une mer a disparu ; mais la végétation qui l’entourait et le sel qu’elle a déposé

  1. Tamarix gallica.
  2. Pancralium maritimum.