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ravira plus sûrement le sceptre aux Ottomans que ne saurait le faire une agitation stérile. Il ne faut pas méconnaître d’ailleurs que l’autorité du sultan et les qualités de commandement propres à la race turque seront longtemps encore nécessaires au maintien du bon ordre chez ces populations, qui n’avaient jusqu’ici appris qu’à obéir. La question du service militaire est une des plus graves qui se puissent agiter au sein de l’empire des sultans. Si elle était dès à présent résolue, c’en serait fait à jamais des priviléges de la race conquérante. Il est peut-être sage de ne pas l’aborder prématurément. Ce qui importe, c’est que la loi civile soit égale pour tous. S’il plaît aux Turcs de supporter seuls les charges de la guerre, de s’abstenir des travaux lucratifs, de se contenter d’exploiter avec indolence le champ paternel, l’époque n’est pas éloignée où la cherté des subsistances leur rendra dans leur propre pays l’existence impossible. Ils auront le sort des Mantchoux, qui ont conquis la Chine et qui ont dû céder le sol même de la Mantchourie aux Chinois. Le travail est la loi du monde moderne ; les paresseux n’y ont plus de place.

L’insurrection de 1821 a fait à la Grèce une histoire non moins glorieuse que celle trop lointaine où devaient autrefois remonter ses souvenirs. Dans cette insurrection, ce ne sont pas les klephtes de la montagne, les capitaines d’Ali, qu’il faut admirer ; c’est ce pauvre peuple qui souffre, qui meurt, et que rien ne peut soumettre. Laissons de côté la légende ; la vérité est déjà, ce me semble, assez belle ; je me suis efforcé de la dégager des exagérations dont on l’avait ternie. Appuyé sur des documens authentiques, sur des témoignages oculaires, sur des lettres intimes auxquelles je n’ai rien voulu ravir de leur originalité, j’ai vu la lutte que je racontais dépouiller en partie sa poésie pour descendre à des proportions humaines. Il n’en est pas moins resté assez d’héroïsme pour qu’on pût admirer encore, et l’admiration a du moins ici la satisfaction de la certitude. Le patriotisme n’existerait pas pour un peuple qui n’aurait pas d’annales. Ni la religion, ni la langue ne sont un lien suffisant ; mais le jour où les cœurs ont pu battre au récit des exploits de Botzaris, de Canaris, de Miaulis, de Karaïskaki, il y a eu pour les Grecs une patrie. Aussi de quel culte pieux tous ces Hellènes répandus en Europe, ou sujets encore du sultan, ne se plaisent-ils pas à entourer la mémoire des héros qui ont pris part à la guerre de l’indépendance ! Pour pouvoir se placer au-dessus des mesquines passions qui n’ont pas cessé d’irriter les uns contre les autres les héritiers des vieilles rivalités féodales, il est bon de vivre en dehors du royaume ; c’est là que vous rencontrerez presque toujours le patriotisme le plus pur, le dévoûment le plus