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absolu à la cause commune, le plus sincère désir d’élever le niveau moral de la nation.

J’ai signalé, au début de ce travail, l’étroite association qui existe entre la régénération de la Grèce et la renaissance de notre marine. Ce ne sont pas seulement deux faits contemporains ; ce sont deux événemens liés entre eux comme l’effet le serait à la cause. L’entretien permanent d’une station nombreuse dans les mers du Levant plaça nos forces navales sur le théâtre qui pouvait être le plus propice à leurs progrès. La Méditerranée a vu, de tout temps, se former les meilleures escadres de guerre, depuis l’escadre de l’amiral Jervis jusqu’à celle de l’amiral Lalande. Un climat sec, un ciel presque toujours pur, y favorisent la bonne tenue des navires, y secondent les exigences de la discipline et la régularité des exercices. La fréquence des mouillages et des appareillages, les louvoyages dans des passes étroites, y rendent en peu de temps les équipages alertes, les capitaines manœuvriers ; mais il est un autre avantage que nous procura le séjour prolongé de nos bâtimens dans l’Archipel, et celui-là fut sans contredit le plus grand. Nous eûmes l’occasion d’observer de très près les marines étrangères et de nous approprier ce qu’une longue expérience leur avait appris. La station du Levant nous donna bientôt une école d’officiers excellens, et, jusque dans les moindres détails, le service intérieur de nos bâtimens se transforma sous cette heureuse influence. La bataille de Navarin, l’héroïque dévoûment de Bisson, nous avaient rendu la faveur publique. L’état de nos finances autorisait des ambitions qui en 1815 eussent été réputées funestes, si par hasard on les eût crues possibles. Nous aspirions hautement à reprendre notre place dans le monde naval ; il se produisit même à cet égard un mouvement d’opinion exagéré, comme le sont généralement tous les élans populaires. On eût dit qu’il ne manquait plus à notre flotte que le nombre pour combattre à armes égales cette puissance qui, de 1793 à 1815, nous avait infligé de si dures leçons. Quelle frégate anglaise eût pu primer de manœuvre la Sirène ou l’Armide ? Quel vaisseau eût été digne de se mesurer avec le Conquérant ? Cette confiance, entretenue par les faciles triomphes que nous obtenions sous le ciel clément du midi, ne résista pas aux épreuves de mers plus orageuses. Lorsqu’en 1831 la France et l’Angleterre unirent une seconde fois leurs efforts et voulurent placer sur le trône de Belgique le prince qui avait refusé la couronne de Grèce, il suffit d’une croisière devant l’Escaut pour nous rendre plus modestes. Dans le court espace de cinq ou six ans, la marine française avait beaucoup appris ; on n’avait pas eu le temps de l’endurcir. Ses navires, ses gréemens, ses équipages même se trouvèrent impropres à soutenir la lutte que n’affrontait d’ailleurs