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agens de l’Allemagne ne préoccupe personne. Est-ce bien là le même peuple qui naguère, sous l’influence d’une hallucination contagieuse, avait cru voir partout des espions ? Loin de là : les reporters recueillent ces paroles dans la foule : « les Prussiens sont des gens loyaux ; ils pourraient nous affamer, ils ne le font pas, — se tourner contre nous, ils regardent faire. » Les chefs ménagent fort les Allemands ; la foule approuve ces ménagemens. Un motif aussi puissant que vulgaire fut pour beaucoup, on en a la preuve, dans cette attitude ; la population exprime avec une singulière insistance la crainte d’avoir à repasser par les privations des derniers mois. Un jour, on croit que le lait va manquer ; cela suffit pour causer un grand émoi, surtout chez les femmes. Pour cette foule, toujours prévenue de l’idée qu’on l’a trahie, il n’y a plus qu’un ennemi, celui qui l’assiége et lui envoie des obus. La colonne Vendôme peut tomber, on n’y voit plus la glorification de la patrie victorieuse, elle n’est que l’image du despotisme et du militarisme. Cela pourtant n’alla pas sans quelques protestations plus ou moins nombreuses dans les groupes, murmures étouffés par le cri de la majorité, qui saluait la chute du colosse sous les yeux mêmes d’officiers allemands mêlés à l’assistance en habits de ville.

Organisation toute de combat, la commune n’eut pas le temps et n’aurait guère eu les moyens d’agiter aucun des problèmes de l’organisation politique. Il n’y a pas dans tout ce qu’elle nous a laissé l’ombre d’une théorie, en dehors des manifestes retentissans remplis des déclamations toutes faites à l’avance sur le prolétariat et le salariat. La commune n’eut même pas un penseur de la force d’Anacharsis Clootz. Nul plan d’administration, de gouvernement, soit faute de conceptions arrêtées, soit par suite de la contradiction qui se serait fait jour dans des vues aussi éloignées les unes des autres que le sont la tyrannie la plus concentrée sous forme de convention et de comité et l’individualisme le plus extrême. Tout ce qui dans les archives qu’elle nous a léguées se rapporte à la politique proprement dite se réduit à un travail laissé dans les papiers de Delescluze, et qui est intitulé la Commune, seul gouvernement légal. Il y analyse en quelques pages l’histoire de France, laquelle semble n’avoir eu d’autre raison et d’autre objet que de préparer le régime du 18 mars. Sait-on quelle est la tache indélébile qui s’est transmise de race en race, de gouvernement en gouvernement ? L’illégalité. C’est un vice commun à Clovis, aux Carlovingiens et aux Capétiens, à l’empire et à la restauration, comme au gouvernement de juillet, au second empire et au gouvernement de la défense nationale. Obscurcie pendant des siècles par une série d’attentats, la légalité vient de reparaître enfin, — ô merveille ! — avec la commune !