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raient être une ressource comme remplaçans des cépages non résistans. M. Riley, de son côté, sans connaître les remarques du viticulteur bordelais, constatait en Amérique des faits analogues, et cette coïncidence suggérait à M. Gaston Bazille[1], de Montpellier, l’idée que la greffe de nos variétés d’Europe sur les vignes résistantes d’Amérique pourrait être dans un temps prochain le seul moyen de reconstituer nos vignobles. Ces idées ont pris une forme plus nette à mesure que l’imminence de la ruine et les résultats incomplets, mais encourageans, de quelques expériences instituées à Montpellier ont rendu plus évident l’intérêt d’une étude sérieuse de cette question non-seulement en Europe, mais surtout en Amérique. Telle est l’origine de la mission que le ministre de l’agriculture voulut bien me confier en juillet 1873, et que j’ai accomplie en août, septembre et octobre de la même année. Enfermées dans de courtes limites de temps, mais secondées par le bon accueil et le concours généreux des savans et praticiens de ce grand pays, mes observations ont confirmé dans l’ensemble celles qui avaient servi de point de départ. Il me suffira de les résumer succinctement.

Au point de vue de leur résistance relative au phylloxéra, les vignes peuvent se ranger en trois groupes : les indemnes (celles qui n’en sont pas même attaquées), les résistantes et les non résistantes. Dans la première catégorie, je ne connais qu’une espèce, le vitis rotundifolia sous sa forme sauvage dite muscadine, et sous ses variétés de scuppernong, à fruit blanc, légèrement mordoré, ou de mish, à fruit violet, sans parler d’autres variétés que je n’ai pas vues. Des recherches réitérées n’ont pu m’y faire découvrir la moindre trace de phylloxéra, ni aux racines, ni aux feuilles. Du reste, c’est un fait admis dans le pays que ce cépage échappe à toutes les maladies comme à tous les insectes et notamment aux chenilles voraces d’un singulier papillon qui, dans le sud, détruit d’autres vignes en en rongeant les racines. Quelle est la raison probable de l’immunité de ce cépage vis-à-vis du phylloxéra ? Je la chercherais volontiers dans le goût manifestement âcre des racines, comparé au goût douceâtre à peine mêlé d’arrière-goût acide des mêmes organes chez des variétés auxquelles l’insecte s’attache. Des recherches ultérieures seront bientôt possibles dans notre pays, où les scuppernong serviront à contrôler cette hypothèse, tout en confirmant, je l’espère, le fait de l’immunité de l’espèce.

Parmi les variétés résistantes, M. Laliman avait cru d’abord ne

  1. Le même viticulteur distingué, qui a tant fait pour l’étude du phylloxéra, songeait dès le mois de juillet 1869 à la possibilité de greffer nos vignes sur des plantes de la même famille, par exemple sur la vigne vierge, dont les racines pourraient, pensait-il, se trouver réfractaires au phylloxéra.