Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

protestans ne l’emportait pas sur la centralisation étroite et mesquine des pays catholiques. Il y a longtemps que Chateaubriand l’a dit, « les descendans de Pizarre et de Fernand Cortez valent-ils les fils des frères de Penn et ceux des indépendans ? »

Quelques-uns ont parlé d’assimilation, d’absorption lente, qui permettrait à l’Indien de se fondre avec le blanc. Les faits sont aussi contraires à cette théorie. Combien avons-nous relevé de Peaux-Rouges au milieu des blancs en 1870? Pas même 26,000, et le nombre en va diminuant d’année en année. Depuis trois siècles et plus que les Indiens assistent à la colonisation de leur pays par les Européens, aucun ne s’est réellement rapproché de l’homme civilisé. Il y a entre les deux races comme une répulsion instinctive, une antipathie naturelle qui ne permet pas à l’une de se joindre fraternellement à l’autre. Dans toute l’étendue des États-Unis, on ne peut citer qu’un seul Indien vraiment civilisé : c’est le général Parker, qui a succédé comme chef des Senecas au fameux Red-Jacket ; encore est-il métis. Ce qui se passe pour le Peau-Rouge a lieu aussi pour le nègre. Dans tous nos voyages, nous n’avons entendu citer qu’un noir réellement instruit, parlant et écrivant bien : c’est Lislet-Geoffroy, que plusieurs créoles encore vivans ont connu. Il était de l’île Maurice, mulâtre, bien qu’il eût la peau et les cheveux d’un nègre ; il se connaissait en sciences physiques et mathématiques, en topographie, et fut nommé correspondant de l’Académie des Sciences de Paris. Arago le mentionne dans ses écrits. Cet exemple est le seul en ce genre dont on puisse arguer; il n’est même pas probant, puisque le sujet est de sang mêlé.

Un rêve tout aussi chimérique que la fusion des races, c’est la civilisation graduelle du Peau-Rouge par le cantonnement, par la culture du sol. Combien de ces Peaux-Rouges qui ont réellement accepté ces enclaves, et qui y ont quelque peu prospéré? Les premiers seuls que l’on cantonna, il y a quarante ans, dans le Territoire Indien. Ils étaient alors peut-être 100,000; combien sont-ils aujourd’hui? Un peu plus de 50,000. Tous les autres Indiens ne veulent pas entendre parler de cantonnement. « Nous voulons vivre comme nous avons été élevés, en chassant les animaux des prairies. Ne nous parlez donc plus de nous envoyer dans des réserves et de nous faire cultiver la terre, » disait le grand sachem des Corbeaux, Pied-Noir, aux commissaires venus au fort Laramie, et il ajoutait : « Laissez-nous aller où va le buffle. Envoyez vos fermiers, mais que ce ne soit pas pour nous. Le Corbeau promène son camp à travers la plaine, et chasse l’antilope et le buffle. C’est là ce qu’il aime. Pères, regardez-moi et regardez tous les Corbeaux, ils sont de la même opinion que moi. » Dent-d’Ours, l’autre grand sachem, qui avait parlé avant