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chaussée d’un moulin où les eaux entrent par un côté et sortent par l’autre, » et quand il eut bien écouté, il reconnut que ce bruit était produit par le mouvement du sang. Sorti peu de jours après de sa prison vivante, comme Jonas du ventre de la baleine, il passa aux mains d’un médecin, auquel il fit part de ses observations, et ce médecin, qui n’était autre qu’Hervey, écrivit sous sa dictée le traité célèbre : Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis in animalibus, d’où l’auteur conclut que l’or, qui est la clé des cœurs, est aussi la clé du cabinet de la science.


IV.

L’année même où La Fontaine publiait le premier de ses contes, Bussy-Rabutin inaugurait un genre nouveau, auquel on a donné le nom de roman historico-satirique. Né en 1618, de la même famille que Mme de Sévigné, Bussy fut activement mêlé à toutes les intrigues de son temps. Sous la première fronde, il prit le parti de Condé; sous la seconde, il prit le parti du roi, et quand la paix fut rétablie, il chercha dans les lettres les distractions qu’il avait jusque-là cherchées dans la guerre civile. Pour occuper ses loisirs, il écrivit l’Histoire amoureuse des Gaules « sans aucun dessein d’en faire mauvais usage contre les intéressés. » Des copies manuscrites en furent prises à son insu : elles causèrent un grand scandale, car une foule de personnages importans s’y trouvaient compromis. Louis XIV l’envoya pendant un an réfléchir à la Bastille sur le danger des indiscrétions littéraires qui s’attaquent, sous un gouvernement despotique, à l’entourage du prince. Quand il sortit de la vieille forteresse, il se retira dans ses terres en Bourgogne, et c’est là qu’il réunit et mit en ordre sa correspondance, l’un des livres les plus piquans du XVIIe siècle.

On a quelquefois reproché à La Bruyère de s’être montré sévère à l’excès dans le chapitre des femmes ; mais l’Histoire amoureuse des Gaules justifie pleinement le grand moraliste, du moins en ce qui touche l’époque de Louis XIV. En prenant Mmes d’Olonne et de Châtillon pour types des aventurières de la galanterie, Bussy-Rabutin a montré combien la corruption était profonde, souvent même vénale, dans certains recoins de cette société en apparence si élégante et si polie. Les tristes héroïnes qu’il met en scène avaient encore plus de rivales en effronterie qu’en beauté; la dégradation des mœurs qui déshonora la régence et le règne de Louis XV s’annonçait déjà sous la fronde, et ce n’étaient pas les exemples d’un maître qu’on imitait pour le flatter jusque dans les désordres de sa vie privée qui pouvaient arrêter les progrès du mal. Il faut sans