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le litron; en 1693, on alla jusqu’à 50 écus, ce qui équivaut à 500 francs de notre monnaie. Le bouillon était surtout l’objet d’un soin particulier ; la bisque aux écrevisses figure dans tous les menus à côté du potage de perdrix aux choux verts et du potage de canards aux navets, mais les perdrix et les canards n’étaient là que pour la forme, et comme accompagnement des grosses viandes, surtout lorsqu’il s’agissait du bouillon du roi, car, pour douze assiettes de cet auguste bouillon, on n’employait pas moins de 64 livres de mouton et de bœuf. Avec un pareil régime, Louis XIV, qui était un des plus grands mangeurs de son royaume, avait besoin de précautions, et, pour parer aux accidens, ses médecins, dans une seule et même année, lui firent prendre une centaine de purges et le saignèrent pour le moins autant[1].

Sous une forme badine, les aventures du Louis d’or politique et galant sont au fond plus sérieuses que celles de d’Assoucy, et que ne semble le promettre leur titre. L’auteur raconte qu’un soir, au moment où il allait s’endormir, il entendit dans sa chambre un bruit singulier. D’où venait ce bruit? Il chercha longtemps sans pouvoir s’en rendre compte, et finit par découvrir qu’il venait des poches de sa culotte, qu’il avait placée sous son chevet. Était-ce quelque souris qui venait y faire tapage ? Il voulut s’en assurer, et, vidant ses poches sur une table, il en fit rouler sa monnaie. En ce moment, il entendit un louis d’or qui lui demandait d’une voix claire et brève : « Cherches-tu la pistole parlante? Tu la chercheras en vain, car il y a longtemps qu’elle est muette. Moi, qui suis d’or fin, j’ai, seul au milieu des louis de pacotille qui circulent aujourd’hui, conservé le don de la parole. Ce soir, je m’ennuyais dans tes poches; voilà pourquoi j’ai fait tapage. Maintenant que te voilà réveillé, si tu le veux, je te dirai mon histoire, car j’ai grande envie de causer. — Parle, dit l’auteur, je t’ écoute. » Sur ce, le louis d’or raconte avec beaucoup d’esprit les grands services qu’il avait rendus au roi dans ses négociations et ses guerres, les embarras-des ministres quand il fut parti le dernier des. caisses du trésor, les vilaines actions que les financiers lui firent commettre, l’amour profond et sans mélange qu’il avait inspiré à une foule de femmes qui quittaient tout pour lui; mais personne ne se serait douté que c’était à lui et à lui seul qu’était due l’une des plus belles découvertes de la médecine. Avalé par un voleur qui voulait le faire disparaître pour éviter d’être convaincu, il s’était promené par tout son corps. En arrivant près du cœur, il entendit un petit bruit « à peu près comme celui de la

  1. Ces chiffres sont authentiques; on les trouve dans le Journal de la santé de Louis XIV, édité par M. Leroy, bibliothécaire de Versailles, à qui l’on doit diverses autres publications historiques très intéressantes.