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la civilisation dont certaines nations moins bien douées que la nation hindoue, le Japon par exemple, donnent la preuve depuis dix ans. Ici le progrès n’a rien de spontané, c’est l’œuvre d’un maître dont la suprématie se fait partout sentir : aussi comprend-on que les peuples de l’Asie centrale, plus nerveux que la population amollie de l’Hindoustan, se défient de l’entrée des Anglais dans leurs montagnes. Cependant cette civilisation moderne, dont ils peuvent suivre le développement au pied de l’Himalaya, accomplit de bien grandes choses. Montrons en résumé quels résultats elle a obtenus; ce sera d’ailleurs une occasion de plus de reconnaître quelle forte position les Anglais ont prise en Asie.


III.

En Asie, plus encore qu’en Europe, le gouvernement est la source de tout progrès, et toute amélioration se réalise par le produit de l’impôt. L’individu est dépourvu d’initiative ; les municipalités existent à peine, la province n’est qu’une subdivision administrative, le conseil suprême du vice-roi dispose seul des ressources du pays. L’examen du budget y acquiert donc une importance de premier ordre. L’opinion générale en Angleterre paraît être que l’Inde n’a pas eu d’habiles financiers depuis seize ans que la couronne s’est substituée à la compagnie, ce que l’on explique de plusieurs façons. D’abord la vie habituelle que mènent les Anglais dans cette contrée n’est guère propre à former des financiers. Ils arrivent jeunes encore, vivent au milieu des natifs, étudient les langues indigènes; préposés sur un district de fort grande étendue, obligés de parcourir de vastes territoires et d’entrer en rapports quotidiens avec une population considérable, ils s’endurcissent à toutes les fatigues et négligent les occupations sédentaires. Une telle école fournit de hardis militaires, des administrateurs vigoureux, même des diplomates excellens. La liste des civilians et des officiers de l’armée anglo-indienne est pleine d’hommes qui se sont acquis une réputation méritée dans les professions actives, mais qui ont peu de penchant pour les études de cabinet. Ce n’est pas tout. Ces mêmes hommes ont par nature l’instinct des grandes dépenses. Que ce soit pour illustrer leur administration ou même par un zèle généreux pour le bien-être de ceux qu’ils gouvernent, ils réclament sans cesse de nouvelles écoles, de nouveaux travaux, en un mot, sous quelque forme que ce soit, des améliorations onéreuses. Du dernier des collecteurs jusqu’au vice-roi, tous se liguent contre le budget, dont le secrétaire des finances est seul à défendre les intérêts. La compagnie des Indes offrait plus de garanties à ce point de vue; le conseil des directeurs, qui la représentait à Londres, contenait toujours un cer-