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ses quatorze livres, n’est lui-même qu’un fragment d’une vaste composition épique où l’auteur peindra la guerre étrangère après la guerre civile, et terminera ses récits par la glorification de Paris et de la France. C’est l’ensemble de ces récits qui porte le nom de Quatre-vingt-treize. On a vu comment M. Victor Hugo, par plusieurs passages de son livre, a éveillé l’idée d’un certain progrès moral, on a vu aussi de quelle façon il a réalisé sa promesse. Avec un poète d’une allure si altière et d’une volonté si opiniâtre, la critique n’a point de conseils à donner, elle ne peut que faire des vœux; qu’il nous soit donc permis de souhaitera M. Victor Hugo de nouveaux progrès, de nouveaux efforts, des efforts mieux conduits et plus efficaces. Puisse-t-il comprendre plus complètement ce que signifie ce mot terrible de responsabilité en des temps comme les nôtres! Puisse-t-il se dégager, en appréciant la révolution, des puérilités et des énormités de la légende ! Puisse-t-il respecter toujours et partout cette lueur solitaire de la conscience morale, cette pauvre petite lueur, si incertaine, si tremblante, dont Michelet nous a parlé jadis! Je ne reviens pas sur les observations purement littéraires; il y aurait cependant pour un tel artiste, pour un maître de la forme, pour un homme qui autrefois étonnait ses lecteurs par les métamorphoses de son inspiration, par les renouvellemens de son vers ou de sa prose, il y aurait, dis-je, un moyen infaillible de frapper les esprits de surprise, de leur donner encore la jouissance de l’imprévu, de déployer à leurs yeux un trésor inespéré de ressources; ce moyen, quel est-il? M. Victor Hugo, qui se préoccupe si justement de l’humanité dans son Quatre-vingt-treize, me pardonnera de le lui dire en toute simplicité : ce serait de traiter humainement les choses humaines.


SAINT-RENE TAILLANDIER.