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par les pèlerins grecs qui venaient visiter la tombe du dieu. Bientôt un troisième sphinx apparaît, puis un quatrième, puis un autre encore, et les jours se succèdent, et les semaines, et les sphinx. Après le vingt et unième, une légère déviation fit perdre un instant la direction de l’avenue, aussitôt retrouvée; mais la profondeur à laquelle on découvrait les sphinx allait toujours en croissant, car cette avenue plongeait toujours davantage à mesure qu’on avançait. Les difficultés de la fouille augmentant sans cesse, M. Mariette dut renoncer à dégager l’avenue dans son entier, et se contenter d’exécuter des sondages symétriques à des distances exactement calculées de manière à pointer verticalement sur ces sentinelles de pierre qui gardaient et indiquaient la route de la tombe divine. Après deux mois de travail, on mit au jour le cent trente-quatrième sphinx, mais on ne lui trouva pas de successeur. On cherche, on interroge le sol à droite, à gauche, — rien ! C’était le 1er janvier 1851. L’année commençait mal pour M. Mariette! En proie à une agitation fébrile, il se disait que le Sérapéum aura sans doute été détruit de fond en comble par les chrétiens, que cette avenue trompeuse ne conduit qu’au néant; mais il ne se rebute pas, il remue le sable, le fait enlever dans un rayon de 20 mètres de surface sur 12 de profondeur. Enfin le cent trente-cinquième sphinx se montre au soleil, l’urœus dressé sur le front; l’avenue fléchissait vers le sud par un coude de 85 degrés.

Après le cent quarante et unième sphinx, M. Mariette put croire qu’il touchait au but, car à ce point l’avenue s’arrête et aboutit à un dromos spacieux, pavé de belles dalles de pierre, et qui coupe brusquement à angle droit la double haie des sphinx. Ce dromos, à peine entamé par les pas des adorateurs d’Apis, n’offre aucune issue en face; c’est un hémicycle décoré de statues grecques : Lycurgue, Platon, Sophocle, Pindare, barrent la route au fouilleur, libre seulement de s’engager à droite ou à gauche dans les deux directions que lui ouvre cette allée. Avant de prendre parti, M. Mariette se demande ce que viennent faire en ce lieu ces graves personnages, devenus d’une façon si imprévue les hôtes de Sérapis. Sont-ce bien là les abords de la tombe divine? Tout en inclinant vers la direction de droite, qui s’éloignait de Memphis en pénétrant plus avant dans le désert, il voulut avoir le cœur net de la direction de gauche.

La rampe de la chaussée était ornée d’une petite chapelle portant le cartouche d’Amyrtée, roi de la XXVIIIe dynastie, et de Nectanébo II, roi de la XXXe époque relativement toute moderne, puisqu’elle coïncide avec la domination persane. Pourtant l’image d’Apis les accompagne, et le disque lunaire qui s’épanouit entre ses cornes assure la marche et soutient le courage du fouilleur; mais cette