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Paris en 1870 a perdu 73,563 habitans. L’année qui va s’ouvrir sera-t-elle meilleure et nous consolera-t-elle de toutes ces hécatombes humaines sacrifiées aux dieux de la violence et de la déraison? Elle sera plus mauvaise encore.

Dès le début, elle annonce ce qu’elle doit être, cette année maudite qui vit la chute de Paris et les flamboiemens de la commune; janvier donne un chiffre de décès fait pour épouvanter : 19,233[1]. C’est le plus haut total que nous ayons atteint; les effets engendrés par les causes multiples que produisit ce cruel hiver ne cessent pas subitement; Paris a été ouvert, les vivres sont apportés en abondance, les réfugiés nous quittent et beaucoup d’autres avec eux, la population tombe au-dessous de la moyenne normale, et cependant le mois de février marque 16,592 à ce que l’on pourrait nommer le nécromètre. Mars commence la période décroissante, qui ne s’arrêtera qu’au moment où la mortalité débordée sera rentrée dans son lit; on y compte encore 11,289 décès; avril descend à 7,026, et si le mois de mai semble reprendre une marche ascensionnelle par 7,639, c’est que ce fut le mois où la bataille des sept jours ensanglanta Paris qu’elle sauvait. Dès ce jour, on revient au point de départ; entre août 1870 et juin 1871, il n’y a qu’une différence de 307 au bénéfice de celui-ci; le total de 1871 n’en est pas moins supérieur à celui de 1870, car il accuse 86,760 décès : donc en deux années 160,323 individus sont morts à Paris. On va invoquer sans doute les actions de guerre livrées contre les armées allemandes et contre les armées rouges de la commune; les décès par suite de blessures militaires ne figurent que pour une proportion bien médiocre dans ce douloureux nécrologe ; en tout 6,083, dont 2,625 pour la période de l’investissement et 3,448 pour celle de la commune.

Ce dernier chiffre cependant n’est pas exact; la statistique n’a pu se servir que des documens qui étaient mis à sa disposition, et elle ne les a pas eus tous. Les décès survenus par suite de faits de guerre pendant l’investissement ont été régulièrement enregistrés; le total accusé touche la vérité d’aussi près que possible; mais il n’en est plus ainsi pour les journées de mai : on tuait partout, on enterrait au hasard, — sur les quais, sur les bastions, dans les terrains vagues. On ne se préoccupait guère de constatation; un cadavre gênait, on l’enfouissait quelque part. La statistique n’a donc pu compulser des bulletins de décès qui n’existaient pas, car la salubrité publique, compromise par tant de foyers d’infection dispersés dans la ville, eut des exigences auxquelles il fallut se soumettre. Les morts furent inhumés sans mandats, c’est-à-dire sans une seule des formali-

  1. Nulle compensation aux pertes de ce sinistre mois ; 2,487 naissances, 770 mariages.