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possible. Le général Frossard en jugeait autrement, et, se dérobant le soir à l’ennemi, il se retirait par les plateaux vers l’extrême droite de la ligne française, sur Sarreguemines. Il partait sans prendre le temps ou sans essayer d’envoyer un officier au maréchal Bazaine, aux divisions qu’il devait supposer derrière lui pour les prévenir de sa marche. Il avait même oublié la brigade de dragons du général de Juniac, qu’on lui avait envoyée assez inutilement, et qui aurait pu être enlevée pendant la nuit, si elle n’eût pris le parti de décamper spontanément. Le général Frossard, en accomplissant ce qu’il appelait une « retraite latérale » sur Sarreguemines, croyait faire merveille sans doute. Il ne remarquait pas que par ce mouvement des plus excentriques, des plus imprévus, qui démasquait brusquement Forbach et la route de Saint-Avold, il exposait les divisions du 3e corps à une surprise et à un désastre, ce qui eût fait payer au maréchal Bazaine les faiblesses de son commandement pendant la journée, mais ce qui n’eût point réparé la déroute du 2e corps ; il risquait de plus d’aller lui-même se jeter dans un guêpier, sur les têtes de colonnes de l’armée du prince Frédéric-Charles, déjà rapprochées de Sarreguemines. Le péril était si clair que dès son arrivée, dès la matinée du 7, après quelques heures de repos, le général Frossard, rectifiant sa marche, revenait vers l’ouest, sur Puttelange, emmenant avec lui la brigade Lapasset, du 5e corps, qu’il avait trouvée à Sarreguemines, et dont il se faisait une arrière-garde.

De toute façon, Spicheren était fatalement le signal d’une retraite générale non-seulement pour le 2e corps, seul engagé jusque-là, mais pour les divisions du 3e corps, pour le 4e corps du général de Ladmirault, pour la garde elle-même, qu’on rappelait sur Metz. Évidemment entre la frontière de la Sarre et la Moselle il y avait des lignes naturelles de défense qu’on aurait pu disputer ; il y avait la Nied avec ses fortes positions, au-delà il y avait un autre affluent de la Moselle, la Seille. Tout ce terrain mamelonné, accidenté et boisé avait de quoi tenter un homme de guerre. On s’arrêtait à peine un instant sur la Nied, on avait hâte d’aller se concentrer sous Metz, et cette retraite, qui finissait, il est vrai, par se régulariser et se raffermir à mesure qu’on se rapprochait de la grande citadelle de la Lorraine, cette retraite ne laissait pas d’être aux premiers momens une pénible épreuve pour l’armée. Ces malheureuses troupes, excédées, poussées dans tous les sens, souffraient des oscillations perpétuelles du commandement, de ces marches rétrogrades ou incohérentes qu’on leur infligeait, des imprévoyances administratives ; elles souffraient matériellement et dans leur moral. Un des plus fermes divisionnaires, le général Decaen, était réduit à écrire le 9 au commandant en chef : « Je vous supplie en grâce de ne pas me faire faire