Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/384

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de mouvement aujourd’hui. Les hommes sont rendus de fatigue, la soupe n’est pas mangée… Hier, arrivés à onze heures et demie du soir avec une pluie battante, manquant de moral (j’ai regret de vous le dire), il leur faut un peu de repos et la soupe le soir… »

Ce n’était pas tout à fait sans doute la retraite désespérée du 1er et du 5e corps à travers les Vosges, c’était pourtant encore assez triste, et partout, en Lorraine comme en Alsace, le résultat était le même : du premier coup, on se voyait obligé de livrer toute une partie de la France en abandonnant à Forbach, à Sarreguemines, à Haguenau et jusqu’à Lunéville des approvisionnemens considérables de campagne, sans compter un équipage de pont envoyé sans attelages à Forbach et perdu à la suite de Spicheren ! La défaite et la retraite avaient leurs conséquences fatales ; mais ce n’était là qu’un côté et même jusqu’à un certain point le côté le moins grave de la situation qui éclatait en quelque sorte à la lueur sinistre du 6 août. Le mal le plus sérieux était dans la direction ou dans l’absence de toute direction, dans les défaillances du commandement devant le péril, dans la démoralisation passant du gouvernement au quartier-général, du quartier-général au gouvernement. Le mal en définitive était surtout à Metz et à Paris, où se nouait, où s’aggravait à vue d’œil la crise militaire et politique.

A Metz, l’effet des batailles perdues avait été instantané et désastreux. Sans connaître encore toute l’étendue du double malheur de la journée et même sans avoir de nouvelles du général Frossard, qui semblait avoir disparu dans la nuit du 6 au 7, on en savait assez pour mesurer l’abîme qui venait de s’ouvrir. Le désarroi et la stupeur étaient à l’état-major au moment où il aurait fallu le coup d’œil, l’esprit de ressource, l’activité de vrais hommes de guerre se redressant sous l’aiguillon du danger. L’empereur, qui depuis son arrivée jouait son rôle de généralissime indécis et impuissant, s’affaissait sous le poids des événemens et de la responsabilité, atterré par la défaite, par l’invasion, et ne se sentant plus d’ailleurs, selon son propre aveu, « assez de forces physiques pour les fatigues d’une campagne active. » L’insuffisance du maréchal Lebœuf comme tête de l’armée éclatait dans cette épreuve, aussi bien que dans les préparatifs de la guerre. Empereur et major-général, passant des illusions les plus vaines à une sorte d’abattement effaré, ne savaient plus que faire. Sans le vouloir, par leur attitude, ils propageaient autour d’eux l’alarme et l’indécision. Ils adressaient à Paris des dépêches comme celle-ci : « pour nous soutenir ici, il faut que Paris et la France consentent à de grands efforts de patriotisme. Ici on ne perd ni le sang-froid ni la confiance, mais l’épreuve est sérieuse ;… elle n’est pas au-dessus des efforts du patriotisme de la nation… »

Que l’épreuve fût sérieuse, ce n’était pas douteux ; quant au