Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/386

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la mission de vous tourner. L’effort lui coûtera cher, mais il sera soutenu par des forces considérables et incessamment renouvelées. Si vous tenez trop longtemps ferme devant Metz, il en sera de cette armée, qui est le dernier espoir de la France, comme il en a été du 1er corps, qui a péri après de si magnifiques preuves… » — A défaut de la retraite sur Châlons, si l’on croyait que c’était perdre trop de terrain d’un seul coup, si l’on voulait tenter encore une fois la fortune des armes avant de se replier jusque-là, on pouvait aller attendre l’ennemi sur un point favorable, vers la haute Moselle. Il y avait là, entre Toul, Nancy et Pont-à-Mousson, de fortes positions connues, étudiées, indiquées depuis longtemps, les plateaux de Haye, offrant les meilleurs moyens de tenir le cours de la rivière et le nœud des chemins de fer à Frouard. Avec le 2e le 3e le 4e corps et la garde, moins ce qu’on laisserait à Metz, on pouvait aller prendre position au-dessus de Frouard, rallier le 6e corps venant de Châlons, les corps de Mac-Mahon et de Failly, au besoin le 1er corps du général Félix Douay. On était ainsi en mesure de disputer la Moselle, et à tout événement on gardait une ligne de retraite assurée, la Meuse, l’Argonne ou la Champagne, à la dernière extrémité Paris.

Oui, tout cela était possible à la condition de se décider dès le premier jour, de ne pas perdre un instant et de ne pas s’attarder dans des positions déjà menacées. Pourquoi perdait-on quelques jours bien précieux à se concentrer autour de Metz ? Je ne dis pas qu’on restait à Metz parce que c’était un abri commode, parce que cela semblait dispenser de prendre sur-le-champ un parti plus décisif. Il y avait certainement d’autres raisons. D’abord abandonner la Lorraine au moment où l’on perdait l’Alsace, c’était dur de toute façon, et un tel aveu d’impuissance militaire devant l’Europe ne devait guère aider au succès des négociations sur lesquelles on avait la simplicité de compter encore pour gagner des alliés. Par calcul diplomatique autant que pour le moral de l’armée, on croyait avoir intérêt à ne pas s’éloigner, à tenir le plus possible près de la frontière, de façon à paraître manœuvrer, non reculer. De plus on expiait ici comme partout l’imprévoyance qui avait présidé à la guerre ; on craignait sérieusement pour la sûreté de Metz, dont les nouveaux forts, mis en construction par le maréchal Niel, n’étaient ni achevés ni armés. Avec quelques jours de répit et de travail, on espérait mettre la place en état de résister par elle-même. Enfin il est bien certain qu’on avait la préoccupation fixe de l’opinion de Paris ; on subissait plus ou moins la pression du ministère, qui écrivait ou faisait dire par un des siens envoyé à Metz que « l’abandon de la Lorraine ne pouvait produire qu’un effet déplorable sur l’esprit public ; » on cédait « pour le moment » à ce conseil. Rester à Metz avec la pensée de s’y défendre à outrance après avoir massé ses forces et préparé