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des approvisionnemens suffisans, se servir de ce vaste camp retranché pour menacer l’ennemi, pour contenir ses progrès en laissant au gouvernement de Paris le temps d’organiser une armée nouvelle, c’eût été peut-être encore une idée comme une autre, quoiqu’elle fût déjà bien hasardeuse. Ce qui n’avait plus de nom et ne ressemblait plus à rien, c’était de s’agiter sur place, de s’attarder autour de Metz sans vouloir sérieusement y rester, d’appeler tardivement le 6e corps, au risque de l’exposer à être en partie coupé, pour en revenir bientôt à la retraite sur Châlons lorsqu’il ne serait plus temps. C’est là cependant ce qui se passait entre le 7 et le 14 août au quartier-général de Metz.


II

On se préoccupait de Paris, ce n’était pas sans raison. Ici la débâcle politique éclatait à côté de la débâcle militaire. L’effet des désastres de Frœschviller et de Spicheren avait été d’autant plus poignant que dans la journée du 6 la ville, déjà enfiévrée, avait été surprise et remuée tout à coup par le bruit d’une victoire merveilleuse de Mac-Mahon. Le lendemain, le 7 au matin, on se réveillait devant l’affreuse réalité, et comme toujours on passait des illusions les plus démesurées à une sorte d’angoisse et d’exaspération de patriotisme. Sans connaître encore la vérité tout entière, on la devinait à travers le décousu des dépêches officielles ; on commençait aussi à pressentir les causes de ce qui arrivait, et la passion publique, s’échauffant par degrés, allant droit à ceux qu’elle pouvait croire responsables des malheurs qui la désolaient et l’irritaient, la passion publique accusait tout le monde, le gouvernement, l’empereur, le major-général, les militaires de cour à qui on avait prodigué les commandemens, dont le nom se trouvait mêlé à ces premiers revers. Le gouvernement n’agissait point certes de façon à maîtriser ce déchaînement d’émotion publique, à rester le guide d’une opinion rassurée et confiante ; il ajoutait au trouble de tous son propre trouble. L’impératrice, laissée comme régente à la tête des affaires, agitée d’impressions aussi douloureuses que légitimes, accourait aussitôt de Saint-Cloud à Paris et publiait une proclamation où elle disait très vaillamment, peu sérieusement, qu’on la verrait « la première au danger pour défendre le drapeau de la France. » Le ministère, qui, lui aussi, affichait sur les murs ses proclamations, était le pouvoir le plus vain, le plus frivole, auprès d’une femme de plus de cœur que de tête, et formait avec elle un gouvernement dont l’insuffisance éclatait dans le péril. Le ministère croyait sans doute se populariser ou tout au moins s’assurer un appui dans la redoutable crise qui s’ouvrait en se hâtant de convoquer