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martine, Victor Hugo, Alfred de Musset, ouvraient aux imaginations et aux âmes des régions bien autrement poétiques que celles où se promenaient avant eux Saint-Lambert et l’abbé Delille. MM. Villemain, Rémusat, Dubois de la Loire-Inférieure, Sainte-Beuve, portaient dans la critique morale et littéraire une élévation et une richesse de vues, une intelligence des caractères et de la nature humaine bien supérieures aux appréciations classiques ou mondaines de La Harpe et de Grimm. MM. Augustin Thierry, Thiers, Mignet, rendaient à l’histoire sa vérité à la fois pittoresque et simple. J’ai retracé ailleurs ma vie politique ; il ne me convient pas de parler ici de mes travaux historiques et d’en marquer avec précision le caractère ; ils ont pris leur place et exercé leur influence dans le mouvement intellectuel qui signala l’époque de la restauration, et c’est l’honneur auquel j’attache le plus de prix de pouvoir affirmer une intime harmonie entre mes propres actes contemporains et mes appréciations historiques des faits et des hommes des temps passés.

Ce fut au milieu de ce grand mouvement intellectuel du XIXe siècle naissant que s’ouvrit et se forma l’esprit de M. Vitet. Il y trouvait à la fois des maîtres et des compagnons. C’est un fait plein de charme que l’élan spontané de la pensée jeune qui n’a encore connu ni les épreuves, ni les mécomptes de la vie pratique ; elle ne cherche que la vérité et la sympathie ; elle se tient pour satisfaite et elle en jouit avec confiance dès qu’elle les rencontre. M. Vitet était dans les plus favorables dispositions pour goûter sans trouble cette jouissance ; il entrait dans la vie sans y poursuivre aucun but déterminé et intéressé ; il ne se proposait d’être ni magistrat, ni administrateur, ni avocat, ni professeur savant, ni même acteur politique : en possession héréditaire d’une situation honorable et d’une fortune suffisante, il eût pu se livrer aux plaisirs frivoles et mondains ; il s’adonna librement à ses goûts intellectuels, à ses études favorites, et ne s’inquiéta que de remplir, selon de nobles penchans, son âme et sa vie. Il se donna de bonne heure cette satisfaction ; en 1819, à dix-sept ans, tout en terminant son droit et en faisant de la prose juridique dans une étude d’avoué, il se complaisait à lire et à comprendre l’histoire de France ; ce fut alors qu’il eut la première idée de la mettre en scènes véridiques sous une forme dramatique, et qu’il commença d’écrire les Barricades de 1588 sous Henri III. Ce n’était qu’une incomplète ébauche qu’il ne termina et ne publia qu’en 1826; mais il avait entrevu dès son premier coup d’œil et entr’ouvert dès son premier pas une voie historique nouvelle qui convenait également à l’esprit de son temps et à son propre esprit. Il donnait à l’histoire sa grande et naturelle sphère ; il y faisait rentrer ses plus divers