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chargé de maintenir la paix entre l’Afghanistan et la Bokharie, deux états où il n’ose faire entrer un soldat, où il n’a même pas de représentant attitré.

Un jour ou l’autre et peut-être dans un avenir très proche, l’attitude des Anglais envers les Afghans devra nécessairement se modifier; sans doute aussi, le gouvernement vice-royal regrettera tant d’occasions perdues. En 1857, Dost-Mohamed, à la veille de guerroyer contre les Persans, avait une entrevue sur la frontière avec le commissaire en chef du Pendjab. Il demandait un subside, qui lui fut accordé, et laissait entendre en outre qu’il prendrait volontiers à sa solde des troupes auxiliaires commandées par des officiers anglais. On n’en tint aucun compte, ce qui fut sans contredit une faute, puisque la présence à Caboul de quelques bataillons fidèles aurait comprimé dans son germe la guerre civile d’où son successeur eut tant de peine à sortir victorieux. Plus récemment, Shire-Ali ne cessa de réclamer le concours de la Grande-Bretagne; ses compétiteurs en demandaient autant de leur côté. Quelle belle occasion d’intervenir en médiateur et de s’assurer un allié fidèle au-delà des montagnes! L’Angleterre pouvait peut-être profiter de la circonstance pour se faire remettre une de ces villes fortes qui sont la clé de l’Afghanistan, non pas Caboul, qui en est la capitale, et qui d’ailleurs est adossé à l’Hindou-Kouch, mais Candahar ou Hérat. Conquérir le pays tout entier eût été une folie, comme les désastres de 1842 l’ont démontré; occuper une forteresse, se réserver une sorte de Gibraltar au cœur de ces montagnes n’eût pas été plus difficile que de s’emparer de l’Abyssinie; c’eût été plus fécond, en conséquences. Sur ces plateaux élevés, sous ce climat salubre, on pouvait attendre de pied ferme les événemens, rendre la Perse neutre en cas de guerre, surveiller les progrès de la Russie et tendre une main amie aux khans de l’Asie centrale. La guerre ne se fait plus, comme au temps passé, avec des multitudes d’hommes armés; il n’est pas probable que les invasions de Timour et de Nadir-Shah se renouvellent. Non, ce qu’il y a lieu de craindre, c’est une armée européenne peu nombreuse et disciplinée, à laquelle il faut des lieux d’étapes, une ligne d’opérations assurée. Avec une forteresse bien approvisionnée, la marche de l’ennemi peut être retardée. En tout cas, la guerre serait reportée en avant des frontières de l’Inde. On conçoit que la Russie trouverait aisément des alliés parmi les peuples barbares de l’Asie centrale en leur faisant voir qu’il est facile de descendre dans les riches plaines de l’Indus et du Gange, où le butin serait abondant. Les entraînerait-elle aussi bien à une guerre de montagnes? Ces réflexions ont été présentées par des généraux de l’armée anglo-indienne, par des