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LA QUESTION CUBAINE.

peine, il levait l’étendard de l’indépendance. Aussitôt prévenus, son frère, ses amis le rejoignent ; chacun d’eux lui amène des renforts : en moins de trois jours, ses troupes s’élèvent à 3 000 hommes, avec lesquels il marche sur Bayamo et s’en empare.

En ce moment même, par une curieuse coïncidence, arrivait à Cuba la nouvelle de la chute d’Isabelle II. C’est du reste le seul rapport qu’on puisse établir entre la révolution espagnole et l’insurrection cubaine. D’un côté, des officiers du plus haut grade, mus plus ou moins par des ressentimens personnels, poussés par l’ambition, conspirent entre eux contre l’ordre établi, gagnent peu à peu l’armée entière et les politiques des divers partis, puis d’un seul coup renversent le gouvernement sans que le peuple, désaffectionné des Bourbons, tente rien pour le soutenir ; de l’autre, une poignée d’hommes, avocats, médecins, propriétaires, ignorant le métier des armes, s’irritent de l’esclavage de leur patrie, et presque seuls, mal armés, avec des fusils de chasse et des pistolets de salon, osent entamer la lutte contre leur puissant oppresseur. Là-bas, après plusieurs essais éphémères de gouvernement, l’Espagne pourrait bien revenir au passé et rétablir les Bourbons ; ici, après six ans d’une guerre d’extermination, les insurgés résistent plus résolus, plus confians que jamais. À peine semblaient-ils capables de tenir huit jours contre les troupes régulières qui occupaient leurs cantons ; le nom du chef audacieux qui les appelait à la révolte était pour beaucoup inconnu ; on n’avait eu le temps ni de se préparer ni de s’entendre, et cependant telle était l’impatience de tous les créoles, leur haine unanime contre l’ennemi commun, qu’ils n’hésitèrent pas davantage, et se levèrent en foule au cri de vive Cuba libre ! En moins de quatre mois, tout le département oriental, sauf les ports, le Camagüey, les districts du centre, à peu près les deux tiers de l’Ile étaient au pouvoir de l’insurrection.

Tout en poursuivant la lutte, les insurgés songeaient à se donner une constitution ; mieux eût valu en finir d’abord avec l’ennemi sans s’inquiéter d’aucune autre question que celle de l’indépendance. Tel était du moins l’avis des chefs du parti ; ils durent céder pourtant au désir secret du gouvernement des États-Unis, dont ils avaient grand intérêt à se ménager la bienveillance, et qui, lui, voyait déjà dans l’adoption d’une constitution semblable à la sienne un moyen de rendre, le jour venu, l’annexion de Cuba plus facile. D’autre part, en réponse aux attaques des Espagnols, qui les dénonçaient partout dans leurs journaux et leurs dépêches comme une bande de pillards recrutés parmi les esclaves marrons, il n’était pas mauvais pour les Cubains qu’ils fissent preuve de vie politique, et qu’une organisation complète et régulière vînt donner à leurs actes une sanction légale. Durant les premiers jours, Cespedes s’était