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trouvé de fait le chef suprême de l’insurrection, mais en déclarant hautement qu’il était prêt à résilier ses pouvoirs entre les mains des délégués du pays. Le 10 avril 1869, à Guaimaro, petite ville du centre, se réunit la chambre des représentans du peuple libre de Cuba : son premier acte fut de proclamer la république fédérale ; on discuta ensuite la constitution qui devait régir le pays durant la guerre de l’indépendance. L’esclavage et toutes les distinctions sociales furent abolis. À l’unanimité, C. Manuel de Cespedes fut élu président de la république, C. Manuel de Quesada, ancien officier dans l’armée de Juarez, notre adversaire au Mexique, reçut le titre de général en chef de l’armée de la liberté ; en même temps une loi spéciale autorisait l’émission de 20 millions de piastres en papier-monnaie. L’insurrection eut son drapeau[1], son armée divisée en trois corps et douze brigades, son administration civile et judiciaire, jusqu’à son corps diplomatique, et des représentans nommés pour les États-Unis, la France, l’Angleterre. Qu’il y eût un peu d’exagération dans tout cela, en somme ces dispositions n’étaient pas inutiles pour discipliner l’insurrection et en affirmer l’existence aux yeux des autres pays.

Déjà les peuples hispano-américains du continent ne cachaient plus leurs sympathies pour la nouvelle république. Le Chili, la Bolivie, le Pérou, reconnaissent les Cubains comme belligérans : à la majorité de plus de 100 voix contre 12, la chambre des représentans du Mexique autorise le gouvernement à prendre une résolution semblable ; mais l’adhésion la plus utile aux Cubains était sans contredit celle des États-Unis, tant pour les ressources matérielles considérables que pour l’appui moral qu’ils devaient y trouver. L’Union sortait alors plus forte que jamais de la terrible guerre civile où elle avait failli se briser ; un désir à peine exprimé du cabinet de Washington avait forcé Napoléon III à rappeler ses troupes du Mexique ; d’autre part, l’opinion publique se prononçait hautement en faveur des Cubains, et cela jusque dans la chambre. Morales Leraus, patriote cubain distingué et envoyé extraordinaire de la nouvelle république auprès des États-Unis, eut avec le président Grant plusieurs conférences, mais il se heurta tout d’abord à de graves difficultés. C’est le moment en effet où s’agitait la question de l’Alabama, et il ne semblait guère possible d’accorder aux Cubains le titre de belligérans, alors que l’Angleterre, tant blâmée, n’avait eu d’autre tort que de reconnaître aux sudistes les mêmes droits et dans les mêmes circonstances. En outre, depuis la chute d’Isa-

  1. Le bleu et le blanc sont proprement les couleurs cubaines. Voici du reste, en termes héraldiques, la description exacte de l’étendard des insurgés : au drapeau bandé d’azur et d’argent, de cinq pièces, au pennon triangulaire à la hampe, de gueule, à l’étoile d’or en pointe.