Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/470

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Maintenant que tout est rentré dans l’ordre et dans le repos, l’attention publique s’est tournée vers d’autres objets; mais la sollicitude des médecins ne devait pas s’endormir. Le 30 novembre 1871, l’Académie de Médecine faisait rédiger par un de ses membres, M. Bergeron, et répandre dans la presse un Avis sur les dangers qu’entraîne l’abus des boissons alcooliques. Cet avis émané du corps le plus compétent et le moins suspect de calculs étrangers s’adresse à tous les hommes qui dirigent des ouvriers, aux propriétaires d’usine, aux chefs d’ateliers, aux instituteurs d’adultes. En même temps, quelques députés, s’autorisant des idées exprimées à l’Académie, des vœux d’un grand nombre de conseils-généraux et du sentiment public, essayaient de provoquer au sein de l’assemblée nationale des mesures pour la répression de l’ivrognerie. Grâce à l’initiative intelligente d’un des médecins qui font partie de la chambre, M. Roussel, ces efforts ont abouti à l’adoption de la loi du 3 février 1873 contre l’ivresse publique. Le spectacle de l’ivrognerie sera désormais épargné à la masse de la population saine, si la loi porte les fruits qu’on en attend. On craignait les difficultés de l’application; mais l’expérience a prouvé que ces craintes étaient mal fondées. Dans les quatre mois qui ont suivi la mise en vigueur de la législation nouvelle, c’est-à-dire pendant les mois de février, mars, avril et mai 1873, la police a constaté, pour Paris seulement, 5,325 contraventions; les condamnations prononcées par les tribunaux de la Seine atteignent 4,253. Cette statistique est la justification et la meilleure preuve de la nécessité de la loi. Dans toute l’étendue de la France, l’application des mesures répressives n’a pas rencontré de plus grandes répugnances; les documens signalent seulement quelques petites communes, particulièrement en Bretagne, dont les maires, par des motifs plus ou moins avouables, montrent une complaisance illimitée pour les délinquans.

Mais cette loi elle-même n’est qu’un palliatif; elle couvre d’un manteau pudique les scandales de l’alcoolisme ; elle n’en arrête pas les désordres. L’alcoolisme le plus redoutable n’est pas celui qui affecte la forme excessive de l’ivresse complète; c’est plutôt l’empoisonnement lent et insidieux du buveur qui ne tombe jamais, qui s’entretient dans une demi-ébriété continue en fractionnant la ration de spiritueux qu’il absorbe et en espaçant les prises. Celui-là, qui hausse les épaules devant son compagnon ivre-mort, ne se doute pas qu’il est plus malade que lui, et il n’a que dédains pour cette loi qui le visait et qui ne l’atteint pas.

Les promoteurs de la loi n’ont pas cru leur mission épuisée par ce premier résultat. Dès le 2 mars 1872, ils parvenaient à fonder une société de tempérance sur le modèle de celles qui existent déjà en Amérique et en Angleterre. Des hommes éminens, des philoso-