Avec le XVIIIe siècle, l’eau-de-vie pénétra plus avant dans les habitudes, et l’on commence à signaler les excès qu’elle entraîne. Une des causes qui ont le plus contribué à la propager, c’est la guerre. Pour ce qui concerne l’Angleterre, le fait est hors de doute. Les soldats anglais avaient pris dès le xvi*’siècle le goût du brandwine ou « vin brûlé » pendant leurs campagnes dans les Pays-Bas; en rentrant dans leurs foyers, ils conservèrent et répandirent l’usage de ce cordial, de ce brandy qui les avait mis en état de supporter les fatigues sans nombre auxquelles ils étaient exposés. Il en est de même aux États-Unis, où l’ivrognerie est un legs de la guerre de l’indépendance, à en croire le témoignage de Baird. Plus près de nous, les guerres de l’empire ont amené un résultat analogue. De notre temps enfin, la funeste passion de l’absinthe nous a été rapportée d’Afrique par nos soldats, et de l’armée s’est répandue ensuite dans une grande partie de la population. Cependant les origines du mal ne doivent pas être cherchées si loin; elles datent de l’exploitation dans notre pays des alcools de grains, c’est-à-dire de 1824. A ce moment, l’industrie de la distillation prit une extension considérable; elle devint même en peu d’années l’une des plus puissantes de la France. Le prix de l’alcool s’abaissa dans une proportion inconnue, et le pays tout entier fut inondé de ces liqueurs malsaines qui, après avoir imbibé jusqu’à la moelle les populations urbaines, se sont infiltrées ensuite jusqu’au fond des campagnes.
Depuis quarante années, la quantité d’eau-de-vie consommée en France a plus que doublé. La moyenne annuelle était de 1 litre par tête en 1831; en 1869, elle atteignait 2 litres 54. Le nombre des débitans de boissons s’élève, d’après les documens fournis par l’administration des contributions indirectes, au chiffre de 371,151. Il y a donc un débit par 100 habitans, et ce chiffre énorme est évidemment hors de proportion avec les besoins légitimes des populations. Dans cette quantité d’alcool absorbée, le cognac, le roi des alcools, intervient pour la plus faible part et seulement pour la consommation des classes aisées. A la campagne, les eaux-de-vie de betterave, les eaux-de-vie de marc, jouent le rôle principal; dans les villes, ces alcools crus ne conviennent plus aux exigences d’un goût raffiné. Les boissons en faveur sont : les bitters, macérations dans l’alcool de plantes aromatiques et amères, telles que l’aloès, la rhubarbe et la gentiane; les vermouths, infusions de plantes diverses et trop souvent avariées dans des vins blancs toujours alcooliques et quelquefois piqués. La recette en appartient aux officines. Enfin le breuvage le plus populaire, le mêlé, est obtenu par l’addition de cassis, d’anisette ou de liqueur de menthe.
Ce qui aggrave encore l’influence pernicieuse de ces boissons, ce sont les circonstances dans lesquelles on en fait usage; on les