boit à jeun, alors que l’estomac vide est plus sensible aux effets irritans et que l’absorption est plus facile et plus rapide. On ne saurait trop sévèrement condamner, au nom de l’hygiène, une des coutumes les plus chères aux ouvriers des champs comme de la ville, qui est d’ouvrir la journée par le coup du réveil, sous le bizarre prétexte de neutraliser les effets de la brume, de « chasser le brouillard, » ou de « tuer le ver.» Cette habitude déraisonnable est aussi l’une des plus efficaces à produire l’alcoolisme chronique avec son cortège habituel d’accidens. Les femmes elles-mêmes, dans certaines régions de la France, ne sont pas restées à l’abri de la funeste passion de l’ivrognerie. Un député du Nord réclamait l’an dernier l’interdiction de la vente des liqueurs fortes par les marchands de denrées alimentaires et d’épiceries. Bien des ménagères, paraît-il, vont boire chez l’épicier qui n’oseraient aller au cabaret. Dans certaines parties de la Bretagne, ce scrupule n’existe pas, et les cabarets sont fréquentés par les jeunes gens des deux sexes, sans avantage pour la morale, comme on le pense bien; aussi n’est-il pas rare, à la suite des foires et des kermesses, de trouver sur le bord des chemins et des sentiers des hommes et des femmes qui sont tombés là ivres-morts. Les femmes qui se livrent à ces excès sont heureusement une exception, telle qu’il en a pu exister dans tous les temps. Les Romains les punissaient sévèrement : au dire de Pline, une matrone fut condamnée à mourir de faim par son mari pour le seul crime d’avoir ouvert le sac qui contenait la clé du cellier.
L’abus des alcooliques n’existe pas seulement dans la classe ouvrière; il est presque aussi fréquent dans certaines catégories d’employés d’industrie et de commerce ; il s’étend même jusque dans les classes plus aisées. Là les résultats funestes en sont retardés par une hygiène meilleure et une vie plus confortable; mais ils sont loin d’être entièrement conjurés. Beaucoup de dyspepsies, de gastralgies, chez les gens du monde, ont pour cause l’usage même modéré des liqueurs. Bien des gens enfin s’alcoolisent sans le savoir : ce sont des personnes d’une santé faible, qui sous prétexte d’activer une digestion languissante, de stimuler un estomac paresseux, font un usage déréglé de l’eau de mélisse des carmes, des élixirs, de la liqueur de vulnéraire. M. Magnan rappelle que bon nombre de malheureux ont éprouvé des accidens les plus graves de l’alcoolisme pendant le siège de Paris, pour avoir employé la soupe au vin comme principal appoint à leur maigre repas. Les individus chétifs, surmenés, mal nourris, sont d’une sensibilité extrême à l’action de l’alcoolisme. On a vu chez des convalescens, chez des personnes à santé chancelante, le simple usage de vin de quinquina ou de la potion de Todd amener des troubles digestifs, le tremblement, le délire avec hallucination. Il faut enfin citer parmi les vic-