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les plus sombres convenaient le mieux à une nation qui se souvenait du duc d’Albe, qui avait eu des martyrs et dont le sang avait coulé à flots. Les théologiens diserts de la grâce et de la demi-tolérance ne pouvaient aller aussi bien au cœur de pauvres gens qui avaient peur de l’enfer, qui ne se croyaient dignes d’être sauvés que par une ardente foi, et qui mesuraient surtout la foi à la haine des infidèles.

Maurice savait, comme Barneveld, que l’indépendance de la Hollande était loin d’être assurée. De toutes parts se levaient les périls; l’Europe était grosse de la guerre de trente ans. Le condominium n’avait pu durer longtemps dans les duchés ; le palatin de Neubourg s’était fait catholique pour épouser la sœur de Maximilien de Bavière. Les états alarmés avaient grossi la garnison de Juliers. L’Espagne se plaignit de cette violation de la neutralité, et les archiducs de Bruxelles, irrités, permirent à Spinola d’entrer dans les duchés. On vit alors la guerre la plus étrange, une guerre en pleine paix et sans batailles; Maurice et Spinola se suivaient, se fuyaient, avançant et reculant comme des fantômes. Maurice avait dans son armée Brandebourg, et Spinola Neubourg. Ce dernier prit Orsoy et quelques autres places, rasa les fortifications de Mülheim et surprit Wesel, qu’on appelait la Genève du Rhin. Après cette campagne si peu sanglante, des conférences s’ouvrirent à Xanten, où furent représentés l’Angleterre, la France, les archiducs, les états, les électeurs de Cologne, de Neubourg et de Brandebourg, et l’électeur palatin. On coupa les duchés en deux morceaux : d’un côté Clèves, de l’autre Juliers et Berg; Brandebourg et Neubourg eurent chacun leur moitié.

Cet arrangement bâtard dura jusqu’à la guerre de trente ans. La ligue catholique était sans tête depuis la mort de Philippe II ; elle allait bientôt en retrouver une. L’anarchie régnait encore dans les états autrichiens; mais déjà Ferdinand de Styrie était désigné pour l’empire. Il avait été élevé chez les-jésuites avec son cousin Maximilien de Bavière. Ce jeune prince était l’héritier présomptif de toutes les couronnes de l’empereur Maximilien II. On lui avait inspiré l’horreur de l’hérésie; il la voyait envahir, à la faveur des discordes de la famille impériale, la Moravie, la Silésie, les deux Autriches, et la trouvait dans ses états héréditaires de Styrie, de Carinthie, de Carniole. Prague était un foyer de rébellion. Le protestantisme y était protégé par la « lettre de majesté. » En Bohême, il y avait neuf protestans pour un catholique. Ferdinand fit le pèlerinage de Lorette et de Rome, se promit de rendre la couronne de Bohême héréditaire dans sa maison, de monter au trône impérial et d’exterminer l’hérésie. Si Ferdinand ou ses héritiers n’avaient pas d’enfans, le roi d’Espagne pouvait réclamer sa succession. Cette perspective épouvantait l’Allemagne protestante et les états.

Il faut se replacer par la pensée au milieu de cette Allemagne