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semblait-il qu’il voulût toujours avoir une querelle prête avec la Hollande; tout sujet lui était bon pour bouder, menacer, prêcher. Il n’était pas seulement l’allié ombrageux des états, il s’érigeait en directeur spirituel. Il entra dans une grande fureur quand l’université de Leyde donna une chaire à Vorstius, ami de Théodore de Bèze et suspect d’arminianisme. Jacques faisait écrire par son ambassadeur : « L’amitié du roi et l’hérésie de Vorstius sont choses incompatibles. » Barneveld craignait d’irriter le roi d’Angleterre, mais il ne voulait pas se laisser dicter jusqu’au choix d’un professeur. Dans ses dépêches, admirables de bon sens et de modération, il s’efface sans cesse devant les états ; les états seuls doivent être juges de l’indignité de Vorstius. Il résistait aux puritains hollandais déchaînés contre Vorstius. Jacques les protégeait ouvertement, ce qui ne l’empêchait pas de persécuter les puritains d’Ecosse et d’Angleterre. Ce monarque à double face cherchait partout la controverse.

On rirait de ces misérables querelles, si elles n’eussent couvert les plus noirs desseins. L’ambassadeur d’Angleterre, en sortant de chez Barneveld, allait conspirer contre lui chez Maurice. Qu’importaient à celui-ci Vorstius et les professeurs de Leyde? Il se laissa aller un jour à dire sa vraie pensée : « la prédestination! je ne sais si elle est verte ou bleue. » Mais il voyait dans Jacques un ennemi de Barneveld, et il écoutait sans rien dire le jargon théologique de l’ambassadeur. Il interrogeait l’avenir, mesurait le prix de l’alliance anglaise. Il ne pouvait pas ne point mépriser secrètement « maître Jacques, » mais il savait quelles forces puissantes couvrait la frêle royauté des Stuarts.

Le soldat silencieux, on l’avoue presque avec regret, semble avoir eu une vision plus nette de l’avenir que le savant, le noble et généreux Barneveld; il comprenait qu’aux heures de crise on ne peut rester neutre et planer dans la tolérance. Il devinait instinctivement qu’en face de la grande croisade catholique qui se préparait contre les puissances protestantes, le peuple hollandais se donnerait à ceux qui lui souffleraient le plus de haine. Deux sectes se disputaient le gouvernement, les remontrans, qui étaient de simples puritains, les contre-remontrans, qui étaient des doubles puritains. La théologie et la politique ne faisaient plus qu’un. La riche province de Hollande était remontrante, arminienne, c’est-à-dire à demi tolérante, elle admettait les « cinq points[1]; » mais à Amsterdam même et dans les autres provinces on tenait pour les « sept points. » Les doctrines;

  1. Les doctrines des remontrans sur la prédestination avaient été réunies dans cinq articles ou points. Les contre-remontrans y avaient répondu par sept points. Les arminiens admettaient que Christ était mort pour tous les hommes. Leurs adversaires disaient qu’il n’était mort que pour les élus de Dieu, choisis de toute éternité, et seuls capables d’être réconciliés avec Dieu.