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avec l’aide de sa femme, et alla chercher un refuge en Suède.

La révolution était depuis longtemps accomplie, et quand Maurice apprit la romanesque évasion, il dit en souriant : « Il n’est pas étonnant qu’on n’ait pas su garder Grotius en prison ; il avait à lui seul plus d’esprit que tous ses juges. » Le stathouder était devenu presque un souverain : l’unité politique, l’unité religieuse étaient faites. Le mariage de la maison d’Orange et des Provinces-Unies était devenu indissoluble, il avait été célébré sur un échafaud. Les nations et leurs ministres s’unissent par les crimes comme par les victoires ; il semble qu’un peuple ne sache plus rien refuser à celui qui, pour le servir, a arraché de son cœur toute pitié, qui a renoncé non-seulement au repos, à la paix, au bonheur, mais à l’amitié, à la reconnaissance, à la bonne foi, à la justice. Il se livre presque sans réserve aux hommes qui, à une hernie donnée, sont les représentans des intérêts généraux, nationaux, et qui deviennent pour ainsi dire impersonnels. L’instinct politique de Maurice, qu’il fût ou non inspiré par l’orgueil de race et l’amour du commandement, était juste et en harmonie avec les besoins de la nation. Les doctrines de l’avocat de Hollande affaiblissaient un pays qui se sentait déjà trop faible ; celles du stathouder étaient la rude expression du bon sens. Les Provinces-Unies ne voulaient pas un tyran, elles voulaient un chef; elles aimaient leurs libertés locales, mais elles détestaient bien plus la tyrannie étrangère, et l’anarchie ramenait forcément cette tyrannie.

Maurice de Nassau tient une grande place dans l’histoire; cependant combien sa gloire serait plus pure, s’il avait apaisé les discordes intérieures, établi la paix parmi les églises, sans souiller ses mains d’un sang inutile! Le souvenir du malheureux vieillard qui fut la victime choisie du stathouder hanta longtemps les bourgeois, les arminiens, tous ceux qui s’étaient sentis frappés avec lui. La royauté, déguisée sous le nom de stathoudérat, si utile, si nécessaire même aux Provinces-Unies, resta longtemps menacée par les défiances du parti oligarchique. Quand celui qui devint Guillaume III d’Angleterre était encore au berceau, le pensionnaire de Witt, traitant avec Cromwell en 1653, stipula que le stathoudérat serait aboli. Cromwell poursuivait encore dans le jeune prince d’Orange le roi Charles Ier et de Witt vengeait Barneveld sur la race de Maurice de Nassau.


AUGUSTE LAUGEL.