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demandait un conseil de prudence à Jeannin ou qu’il soumettait un ensemble de circonstances diplomatiques à l’examen de Villeroy. Comme les plus grandes choses de ce monde tiennent souvent à des causes singulièrement subtiles ou particulières, il est fort possible qu’il faille rapporter à la seule personne de Cotton la longue sécurité dont l’ordre auquel il appartenait a joui depuis Henri IV jusqu’au ministère de Choiseul, et par suite tout le développement de notre histoire religieuse au XVIIe et au XVIIIe siècle, car c’est à lui que la compagnie dut non-seulement son rétablissement, mais, service plus signalé, son affermissement en France. Le rétablissement, il l’obtint d’emblée de Henri IV, qui, nous dit l’évêque Péréfixe, fut charmé de la douceur de ses manières, et il l’obtint avec tous les honneurs, d’un retour triomphant, parmi lesquels le renversement de la pyramide élevée sur l’emplacement de la maison de Jean Châtel, où se lisaient diverses inscriptions accusatrices contre la compagnie. Ce rétablissement cependant, Henri IV l’aurait très certainement accordé même quand la demande lui en aurait été faite par un solliciteur de manières moins avenantes que Cotton, car cet acte rentrait dans le plan général de sa politique; mais le rétablissement n’était pas tout, il fallait obtenir la sécurité, et c’était là chose difficile. La partie de l’opinion qui s’était exprimée naguère par la Satire Ménippée était hostile et toujours prête à accueillir tous les bruits semés par la malveillance, le parlement était ennemi et toujours prêt à profiter des circonstances possibles pour demander la révocation de l’acte de rétablissement. Rien de pareil ne fut plus à craindre lorsque Cotton fut devenu confesseur du roi ; ce fut le second triomphe de ses façons polies, et ce fut le plus considérable. A la mort de Henri IV, l’affermissement était déjà assez solide pour que la société pût braver les accusations de complicité dans le crime commis par un ancien ligueur fanatique, et Louis XIII, dont la nature particulièrement dévotieuse est bien connue, n’était pas homme à troubler cette sécurité, qui à partir de ce moment ne fut plus sérieusement menacée. Que de choses dans notre histoire des XVIIe et XVIIIe siècles ont tenu peut-être à ces grâces polies de Cotton ! Les querelles du jansénisme auraient-elles été jamais aussi vives? le jansénisme lui-même se serait-il jamais élevé à la hauteur d’une secte? la constitution Unigenitus aurait-elle jamais eu de raison d’être?

C’est dans un état de société analogue à celui qu’évoque l’image du père Cotton que nous transporte le second de ces trois portraits, celui de Champagny, duc de Cadore, car ce que le gouvernement d’Henri IV fut pour la France des guerres religieuses, le gouvernement de Bonaparte le fut à nombre d’égards pour la France de la révolution,}}