Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/647

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais avec combien moins de sagesse, de prudence et de constance, hélas! C’est encore une image de mondain accompli, cette fois sans rien d’altier ni de volontaire; des traits fins et délicats, une physionomie où se mélangent également la dignité et la modestie, une expression de vive intelligence tempérée de réserve, des yeux doucement spirituels ouverts avec une sorte d’étonnement naïf comme s’ils étaient surpris de voir le peu que dure l’œuvre d’un diplomate, tel est ce portrait, bien d’accord par tous ses détails avec le rôle historique du duc de Cadore. Le troisième est celui d’un homme bien plus obscur que les deux précédens, on pourrait dire même tout à fait obscur, et dont le nom ne se rapporte à rien de général, mais qui m’intéresse ici plus particulièrement que les deux autres, car c’est celui de l’homme qui me sert principalement de guide historique dans ces régions du Forez, Antoine de La Mure, de son vivant chanoine à la collégiale de Montbrison, auteur de l’Histoire des comtes de Forez et des ducs de Bourbon, et d’une intéressante généalogie des d’Urfé. L’homme est sans génie, et il ne faut lui demander aucune de ces aimables qualités qui nous ont plu chez les érudits ecclésiastiques de la Bourgogne, Lebœuf et Courtépée; mais, si son érudition est mal présentée, elle est abondante, et il est encore le meilleur guide que nous puissions consulter pour la province où nous voici. La lèvre supérieure est ombragée de cette moustache que les ecclésiastiques portaient encore de son temps, c’est-à-dire dans la seconde moitié du XVIIe siècle; mais cet ornement ne lui communique rien de cavalier, ni d’aimable. La mine est morose et taciturne, l’aspect grognon, ou plutôt, pour parler comme les bonnes femmes, bougon; on dirait tout à fait un portrait satirique de quelque vieux membre de l’académie des inscriptions de l’ancienne école. Pendant que je le regarde, il me semble l’entendre me dire avec une expression fort rechignée que même les bouquins ne font pas le bonheur. Hélas ! à qui vous le dites, honnête chanoine!

Le Forez a cela de particulier que ses très anciennes villes, celles qui ont tenu historiquement le haut du pavé de la province, sont tombées dans un abandon à ne pas se relever. Comme Montbrison, comme Boën, Feurs est une ville déchue. Elle a été pourtant une manière de capitale, et, par sa position intermédiaire entre le haut et le bas Forez dans cette plaine que traverse la Loire, elle était faite pour rester capitale, si les mouvemens de l’histoire obéissaient toujours aux conditions de la nature; mais, hélas! c’est tout le contraire qui arrive d’ordinaire, et Feurs en a fait la triste expérience. Au moyen âge, alors que la vie était presque entièrement guerrière, il se trouva trop en plaine, et Montbrison, perché plus haut et capable