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Ce fut un des plus sanglans épisodes de la terreur en province que cette révolte de Montbrison, conséquence de la guerre civile qui désola le Lyonnais. Le proconsul, ex-huissier qui répondait au beau nom de Javogue, procéda à la répression avec toute la rigueur propre à sa profession formaliste; saisies, arrêts, exécutions, se succédèrent avec une impitoyable promptitude. Montbrison y perdit pour un temps et son rang de capitale et son nom, qui, par une raillerie sinistre, fut changé en celui de Montbrisé, et pour un temps aussi Feurs hérita des titres et apanages de la sanglante condamnée. A l’une des extrémités de la ville s’élève la chapelle expiatoire que le roi Louis XVIII fit élever sous la restauration en mémoire de ces victimes forésiennes. L’édifice est lourd et sans caractère comme tous ceux du même genre qui ont été construits à cette époque, car c’est une circonstance digne de remarque que la révolution n’a pu laisser aucun monument qui la rappelât avec grandeur et beauté, et que les vaincus ont aussi mal honoré leurs victimes que les vainqueurs ont mal glorifié leurs triomphes. Aux quatre coins du monument on a placé, par une fantaisie dont je ne me suis pas bien expliqué la raison, quatre très hautes pierres milliaires que les pluies et les années ont rendues entièrement indéchiffrables. Peut-être est-ce tout simplement pour utiliser ces pierres d’une manière quelconque qu’on en a flanqué cet édifice; quoi qu’il en soit, je leur dois quelques minutes de bien tristes rêveries, et les inscriptions illisibles m’ont parlé avec plus d’éloquence que si elles n’eussent pas été effacées. Nous sommes de vieilles sentinelles du temps, semblent-elles dire, et nous avons charge de vous apprendre qu’il n’est pas en ce monde de souvenir qui puisse échapper à l’oubli. Voyez plutôt, nous n’avons pu retenir nous-mêmes ce qui avait été confié à notre dur granit! Ainsi en adviendra-t-il un jour des événemens de cette époque terrible dont les grandeurs vous inspirent encore tant d’orgueil et les douleurs tant de pitié. Un jour viendra, jour bien lointain, mais infaillible, où ces victoires et ces conquêtes n’éveilleront pas plus d’échos dans la mémoire des hommes qui vivront alors que n’en éveillent aujourd’hui les conquêtes du roi Sésostris, où les cœurs resteront aussi froidement fermés au récit de ces infortunes que les vôtres au récit des vieilles infortunes du passé. Un jour viendra enfin où tout cela, comme nous-mêmes, n’intéressera plus que les rares érudits de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de cette lointaine époque, où tout cela sera devenu de l’histoire ancienne, et sondez, si vous le pouvez, les abîmes de silence, de solitude et de ténèbres que recouvre ce mot ancien!

Feurs possède encore un autre souvenir de guerre et de mort, mais de guerre honorable cette fois et de mort faite pour inspirer l’amour et le respect de la vie. Sur la grande place de la ville,