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n’avait de plus importantes dispositions à prendre. Il lui fallait « apprêter son funin, » placer les hommes aux bras, aux cargues et aux écoutes, veiller à ce que les charpentiers fussent munis de plaques et de tampons, les calfats de goudron, de mousse et d’étoupe pour boucher les coups de canon à fleur d’eau.

Le pilote devait être avant tout « bon connaisseur de côtes et savoir parfaitement bien compter les marées, » car le soin de diriger la route lui était abandonné sans réserve. De son expérience et de celle du maître « dépendait, après Dieu, tout le bon succès des voyages. » Il devait, aidé de ses cartes réduites et de son arbalète, pouvoir se reconnaître en haute mer. Aussi réservait-on pour ces officiers mariniers, imbus des élémens d’une astronomie pratique, le nom de pilotes hauturiers ; on les distinguait ainsi des pilotes côtiers, dont la responsabilité cessait aussitôt qu’on avait perdu la terre de vue. Le vaisseau la Couronne, partant en 1638 de l’embouchure de la Seudre pour aller croiser sur les côtes septentrionales d’Espagne, avait, outre ses deux pilotes hauturiers, six pilotes côtiers : deux pour le fond du golfe de Gascogne, deux pour les côtes de Saintonge, deux enfin pour les côtes de Bretagne. Il fallait ces précautions infinies pour suppléer à l’imperfection de l’instrument naval, à l’inexpérience des mains auxquelles on le remettait.

Le master anglais de nos jours a cumulé les fonctions du maître et du pilote de 1634. Nous retrouverons à peu de chose près dans le contre-maître de cette époque le maître d’équipage de 1827. Seulement la découpure des ponts, qui faisait alors de l’avant et de l’arrière du vaisseau deux îlots séparés par une sorte d’abîme, cette découpure, qui n’a complètement disparu que depuis un demi-siècle, limita longtemps le domaine du contre-maître et de son compagnon. Ces deux officiers mariniers n’avaient à s’occuper que du grand mât et du mât d’artimon. Les esquimans[1] ou maîtres de misaine gouvernaient le mât d’avant et le mât de beaupré. Le contre-maître avait sous sa dépendance les pompes et le cabestan ; l’esquiman mettait les ancres à poste et jetait le grappin sur le navire ennemi.

Dès que l’action était engagée, le maître-canonnier apparaissait dans toute la plénitude de son rôle. Il faisait distribuer les gargousses, ayant soin de choisir, pour les passer de main en main par les écoutilles, « les hommes les meilleurs et les plus sages. » — « Tour tirer le canon à propos, » on attendait ses ordres ; il donnait le signal, et six, sept, ou huit pièces partaient à la fois, car on

  1. Esquiman, du hollandais schieman, composé de man, homme, et de schieff, chaloupe (voyez Jal, Glossaire nautique, p. 659). Les anciennes ordonnances écrivent les esquimauts, probablement par une de ces erreurs de typographie si fréquentes dans les documens qui nous sont parvenus du XVIIe siècle.