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pour chaque canton par l’assemblée législative cantonale. Les deux conseils réunis élisent le conseil fédéral, pouvoir exécutif de la confédération, composé de cinq membres. L’autorité centrale ainsi constituée est bien mieux armée pour intervenir dans les conflits intérieurs qui éclatent dans les cantons, surtout dans les conflits religieux, les plus fréquens et les plus ardens de tous. Il ne faut pas oublier que la reconstitution de la république helvétique avait été précédée et amenée par une véritable guerre de religion, la guerre du Sonderbund en 1848, et qu’elle avait porté au pouvoir, non-seulement à Berne, mais dans les principaux cantons, le parti radical, très disposé à exagérer l’autorité de l’état en face de l’église. Son premier acte après son triomphe avait été l’expulsion des jésuites. Il était facile de prévoir que, si l’ultramontanisme se montrait de nouveau agressif, il soulèverait en Suisse la plus vive opposition et provoquerait contre lui des mesures de rigueur. Le fameux décret du concile du Vatican ne pouvait donc manquer de jeter la Suisse dans une phase de luttes violentes. Il était probable qu’elles seraient vigoureusement menées par le pouvoir central, car il s’était toujours montré peu soucieux de maintenir la ligne de démarcation entre le domaine spirituel et le domaine temporel.

Il suffit de tenir compte des antécédens du conflit actuel et des causes générales qui l’ont amené pour écarter l’accusation calomnieuse lancée contre le conseil fédéral de s’être mis servilement à la remorque de l’empire d’Allemagne dans sa guerre à l’église catholique. Sans parler du noble esprit d’indépendance qui caractérise la république helvétique, l’exposé des faits établit clairement que la lutte ecclésiastique en Suisse a précédé de bien des années celle qui trouble l’Allemagne, et qu’elle est résultée naturellement des circonstances du pays, soit politiques, soit religieuses. Ce n’est pas à Berlin qu’il faut aller chercher la cause de ces tristes discordes, c’est au Vatican, dans cette politique à outrance qui est aussi du radicalisme à sa façon. Il n’en demeure pas moins qu’il y a de meilleures méthodes pour en triompher que celles qui ont été employées par les autorités suisses.

C’est à Genève que la crise a éclaté tout d’abord, — non sans avoir été lentement préparée[1]. Jusqu’en 1815, les conflits religieux y étaient impossibles, par la raison bien simple que la ville de Calvin était restée exclusivement protestante. Le souffle du XVIIIe siècle avait bien passé sur elle; elle n’avait pas subi impunément le voisinage de Voltaire et la gloire de Jean-Jacques Rousseau :

  1. Voyez la Question catholique à Genève de 1815 à 1874, par M. A. Roget, Genève 1874.